Après Clotaire Rapaille, l’Opéra Rock (2011) et L’assassinat du Président (2012), Oliver Morin et Guillaume Tremblay récidivent avec le troisième et dernier tome de leur Trilogie du Québec. Dans le cadre d’une résidence du Théâtre du Futur au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, Épopée Nord dépeint notre profonde méconnaissance des peuples autochtones de la province; une critique sociale déguisée sous les airs d’une soirée canadienne au paroxysme de l’absurdité.
Olivier Morin accueille personnellement les spectateurs au sommet des étroites marches du Centre de Théâtre d’Aujourd’hui menant à la salle Jean-Claude-Germain. Vêtu de son veston carotté et coiffé d’une tuque de laine, le comédien nous enjoint chaleureusement de le suivre à l’intérieur où les autres interprètes de la pièce entonnent une chanson à répondre drolatique et délicieusement caustique. Dès les premiers instants, la distribution d’Épopée Nord invite les spectateurs à embarquer à pieds joints dans leur aventure rocambolesque et à partager cette chimie évidente qui s’opère entre ces joyeux lurons.
Après les deux premiers volets de la trilogie, Guillaume Tremblay et Olivier Morin ont repris leurs aiguilles pour nous tricoter une trame narrative complètement déjantée. Maille après maille, la pièce enchaîne frénétiquement les péripéties excentriques et rocambolesques, mettant en mouvement tantôt un Jean Leloup reclus dans son dôme, tantôt une Jocelyne Cazin chevronnée, mais visiblement dépassée par l’absurdité des évènements dont elle est témoin. Les références à la culture populaire québécoise pullulent dans Épopée Nord. Elles étonnent le spectateur, déclenchent assurément le rire chez plusieurs et aiguillonnent les multiples rebon-dissements qui ponctuent l’intrigue de la pièce. Cela dit, l’envers de l’ouvrage nous dévoile une virulente critique de notre laxisme à s’intéresser réellement au sort des Premières Nations. Toutefois, les revirements de situation complètement loufoques que nous proposent les inter-prètes allègent la sévérité de la problématique qui est abordée; un sujet épineux traversé par un véritable «rayon d’amour».
Nous sommes en 2035. La trame dramatique prend assise dans un Québec futuriste, souverain, vert et aseptisé, où les réserves indiennes se sont muées en centres d’interprétation prisés par les touristes guidés d’un goût pour l’exotisme. L’état de paix et de tranquillité sera toutefois brisé par la mystérieuse volatilisation de Fred Pellerin, alors en tournée dans le nord de la province. Après avoir créé une véritable commotion avec sa disparition, la figure de Saint-Élie-de-Caxton resurgit sans crier gare à l’émission de Denis Lévesque, afin de prévenir les Québécois pure laine qu’ils sont à l’orée d’importants changements. Au terme de son message, la personnalité québécoise quittera le plateau pour se lancer du haut du pont Jacques-Cartier. Six homologues du conteur feront de même. À partir de ce point, c’est la débandade. Les Québécois de souche seront confrontés à l’adversité et découvriront bien assez vite que les Amérindiens y sont peut-être pour quelque chose. Ils devront renouer avec l’inévitable devoir de mémoire.
La soirée canadienne fort excentrique à laquelle nous convient Olivier Morin et Guillaume Tremblay ne s’articule pas sur les planches d’une scène à l’italienne. Les interprètes jouent sur le plancher des vaches, au même niveau que le public qui occupe, pour sa part, trois des quatre pans de la scène. La majorité des 75 spectateurs que peut accueillir la salle Jean-Claude-Germain prennent place sur de hautes chaises cordées en deux courtes rangées, alors que quelques chanceux ponctuels peuvent savourer le spectacle évachés sur l’une des quatre causeuses rapiécées placées au premier rang. D’ailleurs, l’espace de jeu est minimaliste. Outre deux bancs de bois, une vieille chaise berçante, un tapis circulaire et un plafonnier antique, des instruments de musique sont posés à l’arrière de la scène centrale.
C’est la musique de Navet confit, épaulé d’Ariane Zita, ainsi que la narration des comédiens qui transportent les spectateurs dans les différents lieux visités par la trame de la pièce. Campé derrière sa batterie, l’auteur-compositeur-interprète et multi-instrumentiste Jean-Philippe Fréchette revêt d’ailleurs le rôle de Lucifer pour tenter les Québécois à la manière de la Chasse-Galerie. La trame sonore, composée de chansons à répondre irrévérencieuses et de musique d’ambiance, meuble la scénographie évocatrice d’Alexandre Paquet.
En somme, Épopée Nord nous met à l’épreuve. Les textes, composés par les plumes d’Olivier Morin et de Guillaume Tremblay, soulèvent des questions inconfortables. Le ludisme du propos désamorce le malaise qui flotte dans la salle alors que la pièce attaque un sujet délicat, sensiblement tabou au Québec: les Premières Nations. Sans avoir cette impression d’être moralisé, la pièce permet cette prise de conscience générale chez les spectateurs sur la situation actuelle des autochtones, minoritaires sur leurs terres ancestrales et appelle à la réconciliation.
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Épopée Nord, dernière création du Théâtre du Futur, est actuellement en supplémentaires les 14, 17, 18, 19, 20 et 21 février 2015 au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.
Article par Guillaume Lepage.