S’éloignant de certains choix artistiques récurrents dans ses créations précédentes, Jacques Poulin-Denis réunit pour (Very) Gently Crumbling, une troupe d’interprètes époustouflantes auxquelles il propose de performer en suivant une esthétique formelle et plastique rythmée par des lumières stroboscopiques. Danseur phare de la compagnie MAYDAY de Mélanie Demers, chorégraphe de plusieurs pièces telles que La valeur des choses et compositeur sous la bannière d’Ekumen, Poulin-Denis aime emprunter des chemins aussi différents les uns des autres, ce que vient d’ailleurs illustrer cette nouvelle création.
La formule du spectacle dans son ensemble est simple et accessible. Au premier regard, la scène épurée rappelle un tableau de jeu Nintendo vintage. L’esthétique est très plastique, les couleurs pastel sont rehaussées de quelques teintes vives soulignées par une fausse plante verte tout droit sortie d’une boîte de jeu Playmobil ou encore par un module gonflable jaune éclatant qui occupe le centre de la scène. C’est au bruit de la souffleuse que grossit cette masse molle, ce Bibendum à plusieurs excroissances qui se met ensuite à remuer lentement et d’où s’extrait finalement une tête bien humaine. Le tout disparait ensuite vers les coulisses laissant place à une voix hors champ qui accompagnera les spectateurs durant toute la pièce.
Parfois éraillée, cette voix féminine préenregistrée professe des déclarations apocalyptiques, des vérités taboues et, à l’occasion, commande aux interprètes. Les textes écrits par l’auteur dramatique Étienne Lepage sont très directifs et laissent peu de place à l’imagination et à la poésie. «Nous avons beaucoup de choses à constater. Nous sommes professionnels. Pointus. Musclés. Propres. Plus sain que jamais.», «Songez à ce qui vous manquera le plus». Cet univers post-apocalyptique semble être un thème cher aux chorégraphes de cette génération s’inquiétant des catastrophes écologiques, des crises économiques et politiques caractéristiques de notre époque.
Les quatre danseuses apparaissent en clair obscur, elles bougent en séquences arrêtées à la manière de multiples clones d’une femme futuriste qui découvrent leur propre corps. Caroline Gravel initie alors un premier solo absolument magnifique où toute son agilité, son talent et son originalité se déploient. Sa performance, dans un style quelque peu robotique, très anguleux, semble parfois s’inspirer des danses urbaines. Les pieds tournés vers l’intérieur, les points fermés comme un nouveau né, le mouvement est conflictuel, mais la danseuse conserve toujours un visage serein. La fragilité cache une urgence ressentie dans les corps et marquée par la musique techno.
Par la suite, chaque interprète aura son propre solo, entrecoupé d’effet de groupes tout en subtilité, particulièrement beaux et réussis. Les quatre danseuses ont un corps mince d’où saillent les muscles particulièrement développés. Elles ressemblent à des produits issus d’un progrès technologique avancé rejoignant presque le monde de la science-fiction. Cependant, l’absence totale de duo, de trio ou de toutes formes d’interactions concrètes entre les danseuses est plutôt étonnant. Chacune présente son interprétation et sa capacité à découvrir toutes les flexions de ses articulations, passant avec agilité de d’hyperextension à la torsion impliquant toutes les parties de leur corps.
La gestuelle de (Very) Gently Crumbling est suggestive, saccadée; elle tente de transmettre cet effet d’effritement de l’être. Sans jamais tomber dans l’apitoiement, le déclin ordinaire des corps se fait de manière très formelle. La recherche chorégraphique vogue plutôt vers l’expérimentation interdisciplinaire sous toutes ses formes. On retrouve ici une heure de belle danse, chose qui n’arrive plus très souvent sur la scène contemporaine montréalaise.
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La pièce (Very) Gently Crumbling, de Jacques Poulin-Denis, a été présentée au Théâtre La Chapelle du 21 au 25 avril 2015.