Les oiseaux du désert, première œuvre d’Édouard Deschênes, parue aux éditions XYZ, expose des enjeux touchant profondément à la construction de communautés. Étant préoccupé par la question de la résistance, l’écrivain s’implique depuis plus de dix ans pour la justice sociale et environnementale. À travers son écriture, il rend possible l’expression de voix marginales longtemps maintenues sous silence et leur permet d’exprimer les luttes qui fondent l’expression de leur résistance.
Dès l’ouverture de l’œuvre, l’écrivain nous informe que ce récit découle de témoignages et d’expériences vécues, tout en gardant un aspect fictif, notamment par le changement de nom des lieux et des personnages. Récit également plurilingue par la présence du français, de l’anglais et de l’espagnol; une attention particulière a été portée sur leur traitement égalitaire, de façon à leur permettre une juste représentation.
Le préambule sert de mise en contexte en nous dépeignant avec justesse et honnêteté l’exploitation de la communauté autochtone, les massacres perpétrés sur une population considérée subalterne, les interventions militaires et les politiques visant à éradiquer les peuples provenant du sud de l’Amérique et à contrôler leurs déplacements. La question de la menace étrangère est également soulevée, montrant ainsi l’absurdité de l’argumentaire xénophobe du gouvernement américain qui considère ceux venant du Sud comment étant des envahisseurs menaçant l’Amérique blanche. L’auteur critique ouvertement les politiques visant à fermer les yeux sur la crise migratoire et humanitaire présente en Amérique du Nord.
Ayant participé à des projets d’aide humanitaire le long de la frontière dans le désert de l’Arizona en 2018-2019, Édouard Deschênes nous raconte ce dont il a été témoin en nous décrivant les conditions difficiles auxquelles les populations latino-américaines doivent faire face pour atteindre la frontière et la franchir. C’est avec sincérité que l’auteur nous transmet la conscience de sa position privilégiée qui lui permet de se déplacer facilement. Il nous montre également son intégrité et son humanisme quant au partage d’histoires de ces personnes, qui tentent le tout pour le tout, espérant construire une nouvelle vie : « Il me semblait pourtant important de faire écho aux voix, de partager certaines trajectoires, certains récits, en leur permettant justement de voyager au-delà des frontières[1]. »
Tout au long du récit, l’auteur attire notre attention sur le manque d’humanité dont font preuve les gouvernements américains et canadiens ainsi que le complot mis en place pour éradiquer ces populations qui risquent leur vie dans un espace aride et sans pitié. C’est par l’entremise d’une surveillance constante des autorités de jour comme de nuit et du sabotage des ressources d’eau limitées et essentielles à la survie des traversier.ère.s qu’il nous amène à ressentir l’atmosphère remplie de tension, de peur, d’inquiétude, de désespoir, d’incertitude qui pèse sur ces personnes forcées de fuir leur pays d’origine. L’écrivain nous partage également la mise en place d’un système proche de la frontière américaine qui permet aux voyageurs de se mettre à l’abri, de se soigner et de s’approvisionner en produits essentiels à leur survie dans le désert. La présence de l’aide humanitaire est un éclat d’espoir qui travaille à rendre possible et moins dangereuse la traversée pour ces populations. Elle se fait pourtant en clandestinité, condamnée par les mesures gouvernementales, car cette aide rend possible ce que le gouvernement américain refuse : la présence d’étrangers cherchant refuge sur le sol américain.
Touchante, profonde et percutante, cette œuvre alliant récit fictif, témoignages et poésie, nous partage le quotidien d’une population qui n’a sa place nulle part. C’est avec un ton revendicateur, un vocabulaire chargé de sens et une attention particulière portée vers celleux qui sont condamné.e.s à l’exil que l’auteur donne des noms aux histoires de ceux qui résistent. Dans sa volonté de se mettre en retrait pour laisser la place aux principaux concernés, Édouard Deschênes arrive à nous transporter dans le corps de Rodrigo, Eduardo, Fanny, Dylan, Gustavo, ces fugitif.ive.s, traversier.ère.s, exilé.e.s qui se battent pour se faire une place, redoublant de courage, de détermination, porté.e.s par un espoir indestructible face à ce que la vie peut leur offrir, ailleurs.
Profondément ancré dans l’actualité, ce récit fait écho au conflit palestino-israélien en portant notre attention sur l’exil perpétuel que subissent ces populations forcées de partir. Il est surtout question de justice sociale et de résistance par la détermination dont font preuve ces populations qui refusent la soumission, se battent pour gagner les droits dont elles ont été privées. Cette œuvre est finalement un appel collectif vers une humanité partagée, permettant d’ouvrir le dialogue pour arriver à une paix durable.
[1] Édouard Deschênes, Les oiseaux du désert, XYZ, Canada, 2023, p. 12.
***
Deschênes, Édouard, Les oiseaux du désert, XYZ, Canada, 2023, 104 p.
Article rédigé par Leila Arab