Deux humeurs pour tenter de résumer Actoral 2016 à l’Usine C :

TEXTE M
Hubert Colas livre comme à son habitude un objet théâtral concis et dense, à la fois poétique et politique. Un homme, seul au fond d’un trou béant, sans distraction autre que son propre esprit, s’interroge sur sa condition et sur celle du monde là-haut. Ses paroles s’exhalent au fil de ses pensées, sans structure autre que le raisonnement improvisé, l’épiphanie fugace. Le protagoniste tourne en rond autour de son puits, se laissant parfois distraire par un poste de télévision à l’image cachée, par un haut-parleur geignant une balade ou par d’autres symboles qui viennent visiter sa retraite. Il parle de ce trou qu’il creuse et qui l’enferme, de ce paradoxe entre faire ce que tout le monde fait et faire ce que dicterait la survie, le bon sens. Il est question de la lâcheté de la masse, de notre lâcheté individuelle.
Il raconte un rêve où un ami lui pèle la peau, comme pour rendre service. Avec sollicitude, cet ami épluche le protagoniste par gestes délicats, lui demandant même de temps à autre : « Ça va ? » Cette image raisonne en moi comme le glas d’une caricature juste, trop juste, de nos systèmes bancaires, économiques ou même sociaux. Elle représente pour moi cette hypocrisie latente que nous acceptons comme inéluctable.
Écrite sur le thème « Contre quoi se rebeller aujourd’hui ? », Texte M laisse entrevoir des bribes d’une réflexion achevée sur notre réalité hypermoderne. Bien qu’elle fut commandée pour commémorer la mort de Louis Delgrès en 1802, il est impossible de ne pas voir dans l’œuvre une condamnation de notre misère symbolique, l’ode à une contemporanéité brisée par le capitalisme sauvage et l’individualisme. Contre quoi se rebeller aujourd’hui ? Contre la solitude, contre l’aliénation, contre la réussite standardisée ? Contre quoi ?
Il vaut mieux se taire face à tout cela qui nous entoure pour lequel
Nous pouvons peut-être quelque chose, mais ô combien il est bon de ne pas bouger
De ne rien dire, de rester finalement tranquille dans son coin
Au chaud au fin fond de la maison dans ce coin-là
Toutes persiennes fermées et le frigidaire tout plein de tout
Et surtout, ne bougeons pas
Ne bougeons pas, ne bougeons pas puisque personne ne bouge

PETIT GUIDE POUR DISPARAÎTRE DOUCEMENT
Une scène orangée et vide. L’auteur s’avance sur le plateau avec un ordinateur portable qu’il dépose à ses pieds. Un texte apparaît derrière lui, puis une voix se fait entendre. Pendant une heure, Félix-Antoine Boutin expose une théorie de la disparition qu’il illustre en peuplant l’espace scénique de matière sensible. D’abord, un livre. Un livre dont il arrache une page. Une page qu’il plie plusieurs fois, minutieusement et avec tout le temps du monde. Avec une concentration tout enfantine, il construit une maison de papier qu’il dépose avec soin au centre de la scène. Un autre interprète pénètre dans l’espace de jeu, va se placer à cour derrière une série de poulies. Il attend. L’auteur, lui, dispose de petites pierres noires tout autour de sa maison de papier.
De retour d’une résidence à L’L [1] à Bruxelles, Félix-Antoine Boutin présente à Actoral le fruit d’une réflexion de plus d’un an sur la disparition. Il questionne ce qui constitue l’identité de l’individu, le fondement de la présence. Est-ce le corps ? Est-ce plutôt quelque chose qui s’y cache ? Illustrant ses propos de façon graphique sur papier et sur la scène, il entame ensuite une recherche des différentes façons dont l’individu peut se dissoudre en lui-même puis dans la multiplicité des présences et dans la masse.
Loin d’être une pièce mélancolique ou fataliste, Petit guide pour disparaître doucement transpire plutôt la sérénité d’une recherche de sens. Il n’est pas courant que les rythmes des arts visuels et du théâtre soient enchâssés avec autant d’harmonie. Félix-Antoine Boutin explore le thème de la disparition avec la naïveté d’un enfant curieux et passionné, faisant surgir les signifiants avec une rare patience. Car c’est à un rituel que l’on assiste ici, et non à une pièce.
ACTORAL 2016 était présenté à l’Usine C du 25 octobre au 5 novembre 2016.
Article par Corinne Pulgar. Bachelière en art dramatique, parfois régisseur, metteur en scène et conseillère dramaturgique. Aussi végétarienne, humaniste, addict de la parrhésie et numéricienne lettrée.
[1] Lieu de recherche et d’accompagnement pour la jeune création