After, premier roman de Jean-Guy Forget paru aux éditions Hamac en septembre dernier, est une porte ouverte sur l’intimité de son auteur. Aux prises avec un problème de consommation et au détour de ses peines d’amour, Jean-Guy nous entraîne dans les dédales de sa lente autodestruction.
«J’ai peur que ma mémoire se désagrège, et c’est sûrement en partie pourquoi j’écris avec cette pulsion d’honnêteté […].» (p. 144)
Le premier roman de Jean-Guy Forget s’inscrit dans la tradition de l’écriture de l’intime, forçant les lecteurs.trices à le suivre dans les méandres de ses amours ratés. Dans une temporalité saccagée se dessinent les contours de tranches vie qui s’empilent et se confondent par leur ressemblance, mosaïque embrouillée par l’abus de substances et les yeux pleins d’eau. Est mise de l’avant une sensibilité qui est à la fois curse et blessing, mais surtout qui remet en question la performance du masculin et de la virilité, que l’auteur rejette ouvertement. Si un doute subsistait chez les lecteurs.trices de After sur la portée autobiographique du roman, les chapitres «Mon livre» et «Micro ouvert» viendront l’anéantir. Full disclosure sur le processus d’écriture du roman, sur le «pillage de vies et de personnages» (p. 143) qui est à la genèse de l’écriture, le discours «méta» de ces chapitres tente de justifier l’existence même du livre. En effet, ceux-ci m’ont semblé faire l’objet d’un certain mea culpa, en offrant une réponse à la question qui se pose lorsque l’on connaît Jean-Guy Forget: pourquoi un roman plutôt qu’un recueil? Il semblerait que l’économie de la poésie ne suffisait pas à contenir le trop-plein de ce qu’il devait exprimer:
«Je ne suis pas un romancier. Je suis un poète, mais des fois la vérité que je veux extraire sort mal en vers. Je me déverse dans de la prose trop longue, dans des personnages qui n’en sont pas vraiment à essayer de dire au fond que je peux juste me connaitre dans le regard des autres, dans l’image générée par la superposition des traces que je laisse.» (p. 153)
C’est donc la vérité de ce qui doit s’écrire qui traverse la prose. L’auteur is pouring his heart out sur la page, s’appropriant au passage les expériences partagées avec Lye, Polly et Justine, non pas pour exorciser le mal qu’ils.elles se sont fait.e.s., mais pour ne pas l’oublier. «J’ai peur que ma mémoire se désagrège», et c’est sûrement pourquoi le roman est parsemé de détails qui ne sont pas significatifs pour les lecteurs.trices. Ce livre n’a pas été écrit pour eux.elles; il a été écrit pour son auteur et ce repli sur soi en rend parfois la lecture ardue. Dans l’économie du roman, ces détails ne font pas sens et ne participent pas à l’élaboration d’un propos qui, malheureusement, manque – le roman a très certainement des thèmes forts, mais pas de propos. Jamais l’écriture ne donne l’impression d’un aboutissement et s’en va plutôt nulle part, dans un mouvement de retour constant: l’absence de réelle trame narrative, même fragmentée, tend à faire s’emmêler et se répéter les différentes scènes. De plus, le name dropping et les commentaires anecdotiques sans lien apparent avec le déroulement des événements alourdissent la lecture qui, toutefois, se fait plutôt bien grâce à une expression éloquente et un style bien maîtrisé. Ainsi, on assiste à un étirement lyrique, jusqu’à sa limite, d’une poésie des malheurs d’un enfant du XXIe siècle.
Cependant, il est intéressant de voir se (re)dresser l’esquisse d’un personnage littéraire déjà bien connu: le poète maudit. Réactualisation du mal-être propre au romantisme et à la beat generation, le personnage littéraire qu’est devenu Jean-Guy Forget est une version 3.0 de l’écrivain tourmenté, mais avec un ajout important: une certaine réflexivité sur la persona, construction fictive, façade publique de l’écrivain.e, «l’image générée par la superposition des traces que je laisse», pour reprendre l’extrait cité plus haut. Cette posture est source de tourment pour l’auteur de After. Entre performativité de genre et performativité de poète, il nous dit que «Jean-Guy existe plus que moi. I lost myself.» (p. 163). À force de vouloir proclamer son identité, il en vient à la déformer: «Ma masculinité est trouée […]. [J]’agrandirai toujours mes failles pour cracher fièrement sur ce que c’est de being a man these days.» (p. 107) À agrandir ses failles comme étirer son énonciation, «[Jean-Guy s’est], comme toujours, trop performé.» (p. 76)
De cette façon, malgré l’absence d’un propos officially speaking, le roman ne manque toutefois pas d’affects. L’écriture fait appel à l’empathie de ses lecteurs.trices et la force avec laquelle s’impose la voix de l’auteur est assez remarquable. La performance de Jean-Guy Forget dans After remet en perspective l’apparente honnêteté dont il se targue et, par le fait même, a un potentiel de réception varié. Qui y croira?
Jean-GuyForget, After, Montréal, Hamac, 2018,176 pages.