À la suite du succès de son roman Bon chien, Sarah Desrosiers nous offre un deuxième roman aux éditions Hamac. Dans un récit encore une fois très personnel, la jeune autrice raconte les derniers moments de vie de sa grand-mère maternelle, et surtout la relation qu’elle tente de rebâtir avec elle. Segmenté au rythme des visites en résidence et des mois qui s’enchaînent, ce roman à l’écriture sobre et détachée peut parfois rendre inconfortable. Dans la première moitié du roman, il est possible de ressentir à la fois du malaise et de la frustration face à la relation – ou plutôt l’absence de celle-ci – qu’entretiennent Sarah et sa grand-mère. Il est bien difficile de ne pas se sentir ébranlé·e par l’égoïsme dont fait preuve la narratrice en admettant qu’elle a mieux à faire que de visiter sa grand-mère, celle-là même qui a pourtant bercé plusieurs souvenirs de son enfance.
Et finalement, j’ai compris d’où venait mon inconfort : la mort et la vieillesse sont des sujets sensibles, des concepts épeurants qui peuvent facilement froisser s’ils ne sont pas abordés avec des pincettes. Mais au fond, ce que Sarah écrit dans son livre, c’est la réalité. Elle montre les dessous moins beaux de la vieillesse et de la fin de vie. Elle décrit les conditions horribles de certains CHSLD, la démence des aînés, les chicanes de famille, les pertes de mémoire, la laideur physique, la perte de l’identité, la charge mentale, l’acharnement. Elle essaie de comprendre pourquoi sa grand-mère a finalement renoncé à l’aide médicale à mourir pour se laisser partir de sa belle mort, comme l’indique le titre du roman. Le deuil est partout dans le texte, il imprègne toutes les pages. C’est la mort des petites habitudes du quotidien de sa grand-mère Françoise, la mort de ses souvenirs, de sa lucidité.
Ce récit relate aussi l’importance pour les personnes âgées d’être bien entourées. Dans le roman, tout un village de personnes s’assure du bien-être de sa grand-mère, comme on le ferait pour un nourrisson. Sa belle mort met en lumière l’aspect cyclique de la vie, qui nous ramène à une perte d’autonomie enfantine lorsque la fin approche. Sa grand-mère perd la majorité de ses opinions, ses avis, ses désirs et ses goûts. Sarah raconte aussi de façon intéressante l’étrangeté de la relation avec les grands-parents et des liens que l’on entretient avec notre famille élargie. Elle se rappelle l’évolution de ses échanges avec ses oncles et ses tantes, qui l’ont autant réconfortée qu’intimidée. Desrosiers se questionne à plusieurs moments dans le roman sur la nature de ses visites auprès de sa grand-mère. Le fait-elle pour elle-même ou pour les autres?
La beauté du roman apparaît dans l’acceptation de Sarah par rapport à son caractère plus froid et insensible, qui ne lui vient directement de nulle autre que sa grand-mère. La liste qu’elle dresse des choses qui la rapprochent de cette dernière est un tant soit peu réconfortante. Lorsqu’on comprend que Françoise n’aurait pas voulu que Sarah se lamente et pleure, on lui pardonne de ne pas le faire. Au contraire, l’humour et la normalité peuvent aider à passer au travers d’une situation aussi difficile et inconfortable. Malgré certaines longueurs causées par la banalité de quelques scènes, l’émotion parvient quand même à nous gagner et on s’attache à la famille Desrosiers. Dans ce récit presque clinique de la vieillesse, il n’y a pas de grands moments. Il n’y a que le quotidien et, parfois, la détresse. Les chutes physiques et les déboires médicaux de sa grand-mère compensent le manque de chutes littéraires. Ce récit n’est en rien similaire au théâtre, malgré le rôle que semble jouer Sarah en permanence devant Françoise et les dialogues qui manquent parfois de naturel. Ce que je retiens aussi de ce roman, c’est qu’il n’y a pas de mal à achever un texte sur une note de faiblesse et de négativité, puisque c’est le ton que l’autrice donne à plusieurs de ses fins de chapitres. L’humain est parfois lâche d’espoir et c’est correct comme ça.
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Article rédigé par Mérédithe Naud
Desrosiers, Sarah, Sa belle mort, Montréal, Hamac, 2023, 320 p.