C’est à l’église Sainte-Brigide de Kildare que se tenait l’exposition Architectures des possibles conçue dans le cadre du projet de fin d’études « 12 crédits » du programme d’arts visuels et médiatiques de l’UQAM. Pour l’édition 2013, 19 finissants ont soumis des œuvres variées regroupées selon trois thèmes : le récit de soi, l’espace social et l’architecture.
Sur l’ensemble des propositions, plusieurs engagent un espace de dialogue fertile avec l’édifice, dont la vocation s’avère désormais culturelle et communautaire. D’autres projets s’inscrivent étrangement dans l’exposition, notamment en raison de l’écart qu’ils manifestent par rapport à la thématique et au lieu proposés.
La sculpture Étant d’Émylie Bernard accueille les spectateurs et assure la transition de l’extérieur à la salle principale, espace monumental s’étendant de la nef au chœur de l’église. Un prisme rectangulaire en acier, atteignant une hauteur de sept pieds, est disposé au cœur du narthex, la petite pièce à l’entrée de l’espace de culte. La sculpture est équipée en son centre de matériaux chauffants générant une émission de chaleur qui n’est pas sans soulever le désir chez le visiteur de la toucher. Au contact de l’acier tiédi, un étrange réconfort est éprouvé.
Déplacements et dérives en société
Le parcours de l’exposition, proposé par les commissaires Anne Bénichou et Thomas Corriveau, conduit ensuite à l’œuvre Jusqu’au jour où nous serons réunis, passeur de Julie De Oliveira. L’installation évoque un univers intime – des formes pour chaussure et une machine à écrire reposent sur un tapis conçu en bouchons de liège -, l’œuvre renvoie toutefois aux manœuvres de l’artiste qui se déploient dans la ville. Celle-ci procède par collecte : elle recueille des objets trouvés lors de ses déambulations, lesquels sont triés et restitués dans l’espace public sous la forme incongrue d’une exposition temporaire. L’artiste documente ses interventions en dactylographiant des observations émises par les passants. Par sa nature multilocalisée (et l’absence d’une note explicative dans l’exposition), l’œuvre demeure somme toute difficile à saisir dans son ensemble.
Le Salon de thé portatif de Sébastien Gandy prend également la forme d’interventions dans un lieu public favorisant les rencontres. L’œuvre se veut une démarche d’implantation d’une culture du thé proprement québécoise. L’artiste s’installe avec son équipement – mobilier et vaisselle sculptés sur bois, théière en céramique – et propose une dégustation de thé à base de baies de sureau (arbre dont les plantations sont répandues au Québec). L’œuvre qui en découle, présentée pour Architectures des possibles, reconstitue l’environnement de la performance avec ses quatre tabourets, sa table, ses récipients et, à proximité, la brouette de bois employée dans les déplacements de l’artiste. L’esthétique rustique privilégiée n’est pas sans évoquer le monde du bûcheron, établissant par le fait même un cadre traditionnel à la séance de thé. Ce choix repose sans doute sur le besoin de remonter dans le passé, ici l’histoire du Québec, pour y insuffler une culture inédite.
Katherine-Josée Gervais combine de manière pertinente le tissu social et l’espace de l’édifice religieux au sein de ses performances hautement symboliques. Ayant lieu chaque jour à une heure précise, Tout ce qu’il y a à faire traite du temps, de l’histoire, de la vie et de la mort. L’artiste agite une clochette, tel un clerc à la porte de son église, pour inviter les spectateurs à assister à sa performance. Elle accomplit ensuite des actions qui évoquent l’expérience d’une vie, avec ses plaisirs et ses souffrances, et qui revisitent des codes symboliques de la religion. Les phrases « Suis-je bien ici? », « J’ai entrevu quelque chose de trop grand pour moi » et « Je pense je suis », les seules prononcées durant la performance, révèlent une profonde remise en question – cartésienne – de la puissance de Dieu.
Constructions élémentaires
Les murs fondateurs consiste en une installation signée Frédérique Duval dont la pièce maîtresse est une habitation hybride, suspendue à une corde, destinée à être occupée par les visiteurs. Cet abri est constitué de tissus variés sur lesquels sont greffés deux pardessus disposés en face-à-face. Deux personnes sont ainsi appelées à littéralement « appartenir » à cette architecture en revêtant les manteaux et en se déplaçant selon l’axe du support. Une seconde corde jonchant le sol fait le pont entre la cabane et un feu de bois en simulacre.
Avec Nouveau développement, Isabelle Charlebois suggère pour sa part un abri de fortune entièrement conçu de débris amassés sur les sites de construction de condominiums aux environs des quartiers Hochelaga et Centre Sud. La combinaison de matériaux hétérogènes donne lieu à un espace somme toute convivial, bien que rudimentaire, et s’avère propice à une réflexion à la fois sur l’embourgeoisement des secteurs défavorisés ainsi que sur les possibilités de récupération d’objets considérés, à première vue, comme des détritus. S’inscrivant au sein d’une église désertée par ses paroissiens, dégarnie de son mobilier liturgique, l’œuvre de Charlebois acquiert une dimension supplémentaire. Elle porte à réfléchir sur le statut ambigu et transitoire de l’espace vidé de sa fonction première et nous invite à nous interroger quant à l’avenir du patrimoine religieux, pour le moment en suspension.
Histoires personnelles
Les photographies de Cyrille Lauzon issues de la série Nous avions suffisamment d’images, assez pour créer une barricade intriguent par leur inquiétante mise en scène. Des personnages ont le visage couvert d’un revêtement blanc ou transparent – parfois de plastique ou de tissu – et semblent se livrer à une action incongrue ou encore réagir à un événement non identifiable, insaisissable. Ces stratégies de dissimulation du visage, véhicule d’expression et de communication par excellence, soustraient en partie l’identité aux sujets et renforcent par le fait même l’impression d’un état désemparé.
Pour réaliser sa vidéo, Fanny Latreille-Beaumont s’inspire des textes de Giorgio Vasari (l’auteur de l’ouvrage Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, paru au XVIe siècle, qui privilégie une approche biographique de l’art) et de ceux des auteurs Ernst Kris et Otto Kurz (historiens du temps de Freud, auteurs de l’essai L’image de l’artiste, une analyse du caractère légendaire ou héroïque des récits sur les artistes). Présentant des épisodes fictifs de son enfance révélateurs d’un avenir prometteur en tant qu’artiste, La Genèse de l’artiste revoie les conceptions de ces historiens, qui se sont penchés sur les mythes autour des artistes en s’appuyant sur des éléments biographiques, bien souvent sublimés. L’artiste en soulève le caractère extrapolé en employant une méthode tout aussi exagérée : la facture léchée et le ton académique de la narration servent toutefois de guide aux exploits douteux qu’accomplit l’ « enfant-artiste ». Luce Charron-Rose se met elle aussi en scène – ou plutôt, ses trois alter ego formant le groupe 3 J’s – dans son vidéo-clip, ses capsules vidéos et ses affiches. Ses interprétations se veulent un pastiche des productions amateurs, motivées par un souci d’autopromotion et de vedettariat, mais dont la réalisation technique et la performance offerte ne sont, bien souvent, pas exemptes de maladresses.
La relation entre la démarche de ces artistes, plus personnelle, et le contexte d’exposition demeure toutefois ténue. Les enjeux liés au culte en général ou à des formes de mystification peuvent trouver une résonnance avec le lieu, mais le rapprochement s’avère somme toute forcé.
La thématique Architectures des possibles est, pour sa part, quelque peu évasive et donne lieu à des interprétations multiples, ce qui permet de rassembler sous une expression des créations de natures extraordinairement diverses. Or, cette volonté de ratisser large a également pour effet de désorienter le visiteur qui se voit confronté à un parcours hors du commun et très peu documenté. Heureusement pour nous, la sortie d’un catalogue d’exposition est prévue pour le mois de mai et il est déjà en prévente. Pour réserver le vôtre, contactez architecturesdespossibles@gmail.com.
Article par Julia Smith.