Le 8 septembre dernier, à la Libraire Raffin, avait lieu le lancement de La ballade d’Ali Baba, sixième roman de Catherine Mavrikakis, paru aux éditions Héliotrope pour la rentrée littéraire québécoise, cru 2014. En présence d’une auteure soucieuse de bien faire et de bien s’exprimer, la discussion intelligemment tissée et animée par Olga Duhamel, auteure et directrice littéraire d’Héliotrope, n’était pas sans rappeler une «démarche» littéraire que fait Mavrikakis dans ses romans par une forme de mise en images, de jeux de références culturelles, littéraires, historiques pour illustrer et nuancer ses propos. Cet évènement qui n’a pas fait dans la démesure fut l’occasion d’entrer dans un univers de souvenirs obsédants, malgré une mémoire qui parfois fait défaut, où les vivants et les morts se côtoient et où, ultimement, la vie peut s’éclairer après la mort.
L’histoire de La ballade d’Ali Baba? Il y a une intrigue comme telle, mais elle passe rapidement à l’arrière-plan. En elle s’y esquisse le portrait d’une relation assez conflictuelle entre un père, Vassili Papadopoulos, et sa fille Erina. Cette dernière, qui est aussi la narratrice, décrit son père comme un beau parleur, pour ne pas dire un «écœurant» qui a laissé sa mère et ses sœurs sans le sou afin de vivre sa vie comme lui seul l’entendait. Il ne réapparaitra que trente-six ans plus tard après que sa jeune maitresse du moment ne veuille plus de lui.
Bien que de forts affects soient sollicités chez la narratrice, tels que la colère ou la déception, son père ne la laisse jamais indifférente. Autant celle-ci reproche à Vassili son grand charisme qui l’a attiré dans des histoires, toutes plus folles les unes que les autres, autant elle-même peut reconnaître tomber sous ses charmes. L’intrigue permet une quête intime où ce sont les lieux (de Key West à Florence, de Kalamazoo à Alger, de New York à Montréal) et les époques (de 1939 à 2013) qui la ponctuent pour inscrire la narratrice dans une lignée. À l’intérieur d’un temps qui n’est pas cyclique, mais plutôt un temps «hors de ses gonds» (out-of-joint pour reprendre un passage de Hamlet évoqué dans le roman), se trace une panoplie d’histoires où repose une filiation, un patrimoine familial riche et coloré qui non pas hante, mais tapisse l’imaginaire de la narratrice. Celle-ci, parfois, se permet de baisser la garde, de se laisser envahir par cette parenthèse dans le temps où, en toute insouciance, son père lui est «redonné».
La ballade d’Ali Baba s’inscrit aussi dans la lignée des autres romans de Catherine Mavrikakis (notamment Deuils cannibales et mélancoliques ou encore Ça va aller) par son choix des thèmes, bien qu’ils soient exploités, chaque fois, dans des registres bien différents. Celui de la mort ici apparaît comme un processus de deuil, celui du père, et ce, à la grande surprise de la narratrice, qui nous rappelle qu’il faut parfois déterrer un bout du passé pour mieux le comprendre, et le ré-enterrer (par la suite?) en toute quiétude. Ce sont aussi les petits deuils de la vie dont elle nous parle. Ceux qui font acquérir des expériences de vie qui façonnent la personne que l’on est et qui finissent par nous constituer à part entière. Dans une prose éclatée, mais délicate, La ballade d’Ali Baba est une longue histoire d’apprentissage(s), mais aussi de perte(s), de disparition et de réapparition. C’est en cette histoire (et les nombreuses histoires héritées du père), qui n’est peut-être qu’un tissu de mensonges, qu’Erina réalise qu’en lui, elle se reconnaît. Ensemble, ils auront été une dernière fois complices dans le crime. Comme dans le bon vieux temps. Celui où l’on croyait encore que le père Noël existe. Le mensonge devient donc un mode de survie et de conservation.
De toute manière, peut-on réellement en vouloir à nos parents d’avoir traficoté ou embelli, dans le but de préserver notre innocence face au dur monde des adultes, la fin d’un conte qui finissait de façon sérieusement triste ou carrément effrayante? Chaque chose en son temps. Et il s’agit là d’un maillon précieux lors de la lecture de ce roman empreint d’humilité et d’une grande sagesse.
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Catherine Mavrikakis, La ballade d’Ali Baba, Montréal, Héliotrope, 2014, 206p.
Article par Camille Legault-Moffett.