Monday

28-04-2025 Vol 19

Aventures insulaires : Mykonos et la critique du tourisme

Mykonos par Olga Duhamel-Noyer (crédit photo: JdM)

Dans le quatrième roman d’Olga Duhamel-Noyer, paru cet automne chez Héliotrope, Mykonos se révèle être loin du paradis promis par les guides de voyage. Flottant au milieu de la mer Égée, surplombée par un soleil trompeur et peuplée de touristes, l’île, de laquelle le roman tire son nom, nous devient hostile. 

L’action se déroule sur une semaine, huit jours pour être exacte. C’est l’été et les lecteurs.trices sont invité.es à suivre quatre amis (Pavel, Christopher, Sebastian et Jules) alors qu’ils parcourent les clubs et les plages grecques. Mais contrairement à ce que l’on pourrait s’attendre d’un récit de voyage, les lieux sont loin d’être idéalisés et les événements tournent vite (le livre ne fait que 114 pages) au drame. 

Si l’île est reconnue comme un lieu de rencontre pour les communautés LGBTQ+, les quatre personnages principaux ne semblent pas s’embarrasser de retenue quand vient le temps de passer des commentaires homophobes. Baignant dans une masculinité toxique, les garçons sont plus occupés à se méfier des hommes gais et à trouver de belles filles avec qui coucher qu’à s’intéresser à la culture locale. Sauf peut-être Pavel qui, ayant lu un guide touristique, nous apprend que le « lacis des ruelles particulièrement complexe avait été conçu pour ralentir la progression des pirates » (p.19). Au 21e siècle, les pirates s’apparentent plutôt à des touristes en état d’ébriété, venus conquérir les pistes de danse et piller les stands de σουβλάκια (souvlakis), qu’à de véritables mercenaires. N’empêche que ces voyageurs, arrivés par bateau, se disent souvent poussés par un désir d’aventure. Ils font et prennent ce qu’ils veulent, et leur arrivée a une immense influence sur la culture locale. La plus grande ville de l’île, Χώρα (Hora), s’est même vue rebaptisée « Mykonos Town » pour les touristes.

Quant à moi, la réflexion la plus intéressante du roman tient au discours sur le tourisme que l’on découvre peu à peu. En effet, pour une île qui ne compte qu’environ 10 000 habitants, elle accueille quatre fois plus de visiteurs chaque année. Ce sont des hordes de touristes qui descendent dans les rues de Mykonos et qui assiègent les habitants. Ces foules, « tous ces corps mis ensemble » (p. 61), finissent par nous faire suffoquer. Dans ce roman, on comprend vite que les Mykoniens sont relégués à l’économie de service, ne sont là que pour offrir un séjour confortable aux masses.

Nous retrouvons donc d’un côté l’altérité radicale représentée par cette langue « murée dans un alphabet impénétrable » (p.9) et d’un autre le dédale des ruelles : la culture mykonienne est étrangère aux protagonistes dès l’incipit. La langue et le territoire semblent rebuter le touriste. Pavel remarque, entre autres, « l’omniprésence des ronces, des arbrisseaux et de toute une végétation sèche et hostile » (p.54), mais aussi la saleté, les canettes et les mégots qui jonchent le sol et qui s’opposent avec l’idée que les lecteurs.trices peuvent se faire de la Grèce. Mykonos, avec son économie de dialogue, prend presque la forme d’une série de tableaux. Par moments, les descriptions sont plus généreuses et donnent à voir la beauté qui enveloppe l’île une fois la nuit tombée. On sent le regard de Duhamel-Noyer qui vient minutieusement placer chaque élément de la composition :

«Le déplacement et la distance redistribuent les cartes, et Pavel regarde attentivement ces hommes qui rient entre eux, certains enlacés par de superbes créatures à cheveux longs, des femmes bronzées, fumant de fines cigarettes et portant des talons aiguilles pourtant invraisemblables sur un rocher. Le vent faible sur leurs tenues soyeuses fait découvrir de splendides silhouettes. Les larges colliers d’or ou d’argent des hommes brillent dans la nuit, plus encore que les bijoux très fins des femmes élégantes.» (p.69)

D’un premier abord, la prémisse du roman et l’annonce de situations périlleuses sur la quatrième de couverture nous font croire qu’un danger guette les jeunes hommes : quatre amis en vacances, ne maîtrisant pas les codes d’un pays qui paraît hostile à première vue. Toutefois, les représentations conventionnelles ne sont pas au rendez-vous dans Mykonos. D’un œil aiguisé, Olga Duhamel-Noyer tisse des scènes qui semblent pointer dans une direction, alors que se dessine, en filigrane, un tout autre récit. 

Olga Duhamel-Noyer, Mykonos, Montréal, Héliotrope, 2018, 114 pages.

Article par Audrey Deveault.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM