C’est en 2002 qu’Evelyne de la Chenelière signe Bashir Lazhar, son huitième texte dramatique, mais il faudra attendre 2007 pour que le texte soit présenté en salle au Théâtre d’Aujourd’hui dans une mise en scène de Daniel Brière. En 2011, la production est adaptée pour le cinéma par Philippe Falardeau sous le titre de Monsieur Lazhar. Le film remporte par ailleurs l’Iris, anciennement nommé prix Jutras, du meilleur film lors de la 14e édition du gala et on se souviendra du carré rouge porté par le réalisateur et les acteurs lorsqu’ils montèrent sur scène recevoir leur statuette. C’est dans un contexte qui ravive les débats autour de l’immigration et des réfugiés politiques que la pièce est présentée à nouveau dans la salle principale du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, en septembre 2017.
Bashir Lazhar raconte l’histoire du personnage éponyme, un immigrant algérien qui se voit confier une classe de sixième année à Montréal. Celui-ci doit composer avec sa nouvelle profession, tout en prenant conscience des différences culturelles, de la spécificité de valeurs qu’il croyait universelles et de la distance qui se creuse sans cesse entre lui et ses collègues. On le voit se perdre dans les méandres des procédures bureaucratiques qui font obstacle à son appartenance et à sa sécurité. On le voit attendre la venue de sa famille, celle qui ne viendra jamais, celle dont il est à jamais séparé. La production pose d’importantes questions : celles de l’éducation, de la valeur de la vie, du courage de tout laisser derrière, de la violence, domestique ou terroriste, celle de la liberté et, n’en déplaise à Marie-France Bazzo, celle du racisme systémique.

Bashir Lazhar. Crédits photos de Valérie Remise.
Bashir Lazhar, c’est aussi un baptême théâtral pour Rabah Ait Ouyahia, l’interprète qui, seul sur scène, commande toute l’attention par son interprétation juste et sentie. C’est sur celui qu’on a pu connaître pour son rôle dans L’ange de Goudron (2001) ou par sa carrière de rappeur que repose toute la parole. Pourtant, le texte n’est pas un monologue à proprement parler. Il s’agit plutôt d’une suite de dialogues sans réponse. Au début, ces silences peuvent provoquer un certain malaise puisqu’ils brisent, après tout, l’effet de réel. Ceux-ci deviennent rapidement nécessaires puisqu’ils permettent de donner la parole exclusivement à ceux qui, règle générale, ne l’ont pas. Ces silences nous forcent nous, public majoritairement blanc et privilégié, à se taire et à écouter la souffrance d’un autre.
La mise en scène de Sylvain Bélanger est à la fois minimaliste et grandiose. Sur scène, on ne trouve guère plus qu’une chaise d’école. Le vrai décor est créé par les éclairages de Cédric Delorme-Bouchard, dont les projecteurs nous aveuglent autant qu’ils projettent l’ombre gigantesque du personnage principal, le rendant omniprésent.
Le texte d’Evelyne de la Chenelière est tout en nuance, peut-être même trop compte tenu du sujet abordé. Ce que vit Bashir Lazhar est horrible, mais le texte demeure doux. En entrevue, De la Chenelière avoue avoir dédié ce texte à ses enfants, ceux-ci étant tout jeunes lors de la parution. Elle poursuit en affirmant : «Moi, comme jeune lectrice, ce qui m’apportait le plus de réconfort, c’était lorsqu’on mettait en lumière l’ambiguïté des choses.» (Propos rapportés par Jean Siag, La Presse, 18 septembre 2017)
La production, en mettant de l’avant cette posture ambiguë, ne cherche pas à amener des réponses aux enjeux qu’elle soulève, et c’est là une grande qualité. L’auditoire est donc forcé à prendre le relai, à poser des gestes. Il sort de la salle de théâtre avec une nouvelle sensibilité, un peu à vif. Mais voilà, en tant qu’adulte, j’aurais aimé sortir plus ébranlée encore. Si l’ambiguïté réconforte, j’aurais voulu qu’on me désarçonne davantage. Il me faut toutefois admettre que la production dans son ensemble m’a profondément touché. Bashir Lazhar est de ces rares pièces qui ne nous lâchent plus, de ces pièces qui n’ont rien perdues de leur impact malgré les années qui passent.
Bashir Lazhar était présenté au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui du 19 septembre au 14 octobre 2017.
Article par Maude Lafleur.