Chaque année, c’est la même rengaine, les journalistes culturels sont en colère contre le Festival des Films du Monde. On reproche au vieux routier du film montréalais son manque d’organisation, le peu de sous-titres en français, l’inexistence des visionnements de presse. Tout cela est, jusqu’à un certain point, justifié. Mais ce qui donne réellement de l’urticaire à ces critiques de cinéma, c’est surtout l’énorme sélection d’oeuvres. Ils ne savent plus quoi aller voir, les pauvres. En cette 36e édition, c’était 212 longs métrages, 16 moyens et 204 courts. De quoi faire perdre la boule au festivalier le plus aguerri? Je ne crois pas. Ne serait-ce pas là, justement, la vocation profonde d’un festival de cinéma du monde, que de présenter une mosaïque assez large pour pouvoir représenter sa complexité? Au contraire de ces collègues qui aiment savoir ce qu’il faut avoir vu, j’accueille cette abondance cinématographique avec bonheur. Et j’ai la ferme conviction que le Festival des Films du Monde doit n’être, justement, qu’exploration, tâtonnement et découverte.
Trop de festivals sont tombés dans cette hiérarchisation du cinéma, attirant tous les regards sur les mêmes œuvres et les mêmes individus alors que notre cinéma n’a jamais été aussi riche. Quand j’ai appris l’excellente initiative du FFM de distribuer des cartes de presse aux étudiants en cinéma et en journalisme, je n’ai pas hésité. J’ai sauté dans cette joyeuse mêlée lumineuse, sans chercher les gros noms dans le bottin que l’on m’a remis. Seule règle, ne pas aller voir deux films qui viennent du même endroit. Unique conseil à moi-même: ne pas se confiner à la compétition. Ils ont été bien d’autres pour la couvrir tous en même temps, créant l’évènement, le buzz dont tous sont si friands. C’était peut-être une mauvaise idée de ma part. J’ai sans doute raté les films les plus importants et je n’aurai rien à dire lors du prochain souper. N’empêche que les six films que j’ai vus resteront longtemps gravés dans ma mémoire.
Le premier d’entre eux, par un heureux hasard, est resté celui qui m’a le plus marqué. Les pirogues des hautes terres d’Olivier Langlois est une coproduction France-Sénégal. Il raconte la longue et douloureuse lutte des cheminots de l’Afrique-Occidentale française. En 1947. L’esclavage est déjà aboli, mais on est encore bien loin d’une rémunération égale pour un travail égal entre blancs et noirs. Outre la syndicalisation des cheminots, le film s’attarde aussi à l’émancipation de la femme et au racisme à peine camouflé des élites françaises. Un long combat d’un peuple pour sa liberté, entrecoupé d’une histoire d’amour pas du tout naïve et narré de temps à autre par ce médecin français qui a su se retourner contre les siens devant l’injustice. Un magnifique film, à la lumière aveuglante, à la chaleur accablante et qu’il faut dépoussiérer un peu pour percevoir toute sa couleur. Le jeu est puissant, avec des acteurs à la peau d’ébène qui n’ont rien à envier à ceux que nous adoubons volontiers vedettes. Les moments d’émotion abondent et sont aussi forts que la scène d’ouverture où l’on assiste à l’exécution de cheminots par un bataillon de soldats qui pourraient être leurs frères.

En première nord-américaine, l’excellent Deïne schönheit ist nichts wert (Your Beauty is Worth Nothing) du réalisateur d’origine kurde Hüseyin Tabak. Produit de l’industrie cinématographique autrichienne, ce premier long métrage est un petit bijou d’un artiste qu’il nous faudra surveiller. À Vienne, un jeune garçon de 12 ans prénommé Veysel peine à s’intégrer à l’école. On le dit rêveur, mais il n’y a pas que ça qui l’empêche d’apprendre et de se faire quelques amis. Son père est parti en Turquie combattre avec les indépendantistes kurdes dans les montagnes. Son frère aîné, affecté par l’absence de ce père, traîne de plus en plus avec la racaille. Au bord de la crise de nerfs, sa mère tâche d’apprendre l’allemand, tout en travaillant et en s’occupant d’eux. Seule lumière au bout du tunnel, la jolie Ana dont Veysel est tombé amoureux. Mais pour le lui dire, il faudrait d’abord apprendre l’allemand… Your Beauty is Worth Nothing est une véritable incursion dans la culture kurde, plongée dans celle de l’Autriche. Par le trou de la serrure, on observe l’immigration de l’intérieur. Malgré quelques accrochages au niveau du jeu, les personnages sont assez attachants pour que cela ne nuise pas trop à l’oeuvre. Remarque à part, si vous pouvez mettre la main sur cette bande sonore, n’hésitez pas, c’est d’ailleurs la chanson thème qui donne son titre au film.
Dans un registre plus comique, le seul film en 3D du festival, Com’é bello far l’amore (L’amour est dans l’air) de l’italien Fausto Brizzi. En première mondiale, la salle comblée avec laquelle j’ai pu assister à ce petit chef-d’oeuvre d’humour n’a pu que se bidonner en voyant cette histoire de sexe utilisant par moment la technologie 3D avec brio. Voilà l’affaire : Andrea et Giulia forment un beau petit couple, sont parents d’un ado et possèdent une grosse piaule. Jusque-là, tout va bien. Le problème entre eux, vous l’aurez deviné, c’est le sexe. Le record de durée d’Andrea ne dépasse pas les cinq minutes. Pour les aider, pas de psychologue ou de sexologue, mais l’ami d’enfance de Giulia, l’incomparable vedette de la porno : Max. Brizzi a le sens du rythme et du dialogue qui frappe. Dès les premières minutes de la représentation, la salle entière était pliée en deux. Incorporant par endroits quelques scènes d’animation en trois dimensions, on peut dire que l’homme de théâtre italien maîtrise très bien le septième art aussi. De l’humour brillant comme on n’en voit pas très souvent.
Tablant sur le phénomène bien connu de la corruption de la classe politique mexicaine, Jorge Michel Grau livre un premier moyen-long métrage après avoir fait un moment dans le court. Le bref Chalan (Le coursier) s’attarde à l’existence d’un homme à tout faire servant un député en vue. Constamment intimidé par son employeur et même ses collègues, il est réduit à exécuter les tâches les plus ingrates pour une bouchée de pain. Mais il décide un bon jour que c’en est assez lorsqu’il découvre la femme de son patron au bord de la mort, couverte d’ecchymoses, triste oeuvre de son propre mari. Bien décidé à faire payer les corrompus, il reste malgré sa détermination, la représentation de David contre Goliath. Noé Hernandez dans le rôle de ce coursier, marque les esprits par la force tranquille qu’il dégage. Petite anecdote racontée par le scénariste du film Edgar San Juan et qui pourrait vous intéresser. L’équipe du film a été contrainte de réaliser par animation la représentation d’une session parlementaire suite à une interdiction d’y tourner décrétée par le gouvernement mexicain lorsque celui-ci a appris la manière dont Chalan dépeignait la politique.
Seule et maigre déception de mon parcours au FFM, Les enfants de Troumaron, long métrage du documentariste Harrikrishna Anenden. D’un niveau bien en dessous du reste de la sélection du FFM, on pardonne tout de même aisément ce film bricolé en apprenant qu’il est le troisième film produit par l’Ile Maurice dans toute son histoire. Réalisé dans un contexte difficile, à compte d’auteur, Les enfants de Troumaron est basé sur le roman Ève des décombres d’Ananda Devi, d’ailleurs épouse du réalisateur. Il dépeint la vie à Troumaron, ville en perdition totale depuis la fermeture de son usine. Au centre du récit, la vie de ces jeunes sans perspectives d’avenir et laissés à eux-mêmes. Sad sauvé par la poésie tente à présent de sauver Ève qui se prostitue en espérant pouvoir un jour quitter l’île. C’est noir, tourné avec les moyens du bord.
Pour le dernier, il fallait quand même aller voir de quoi ça avait l’air du côté de la compétition. Un suédois cette fois-ci, pour faire aussi snob que Vian. Le somptueux Döm över död man (The last sentence) de Jan Troell. En noir et blanc, de facture très classique, un délice pour les yeux. Surtout pour les zens d’entre vous, parce qu’il faut avouer que c’est parfois un peu long et lent. Seulement, voilà, la démarche est tout de même très intéressante et il paraît que c’était le thème du festival que de savoir s’abandonner sans s’attendre à une action constante. Le journaliste en moi a été ravi par l’histoire de Torgny Segerstedt, éditeur et rédacteur en chef d’un quotidien qui a su résister à la censure et la propagande lors de la montée du nazisme, et même pendant la Seconde Guerre mondiale. Le combat d’un homme, têtu et idéaliste, pour la liberté de presse, même dans les pires instants. L’interprète Jester Christensen est tout simplement impeccable, crédible à l’extrême dans ce rôle qui nécessite le charisme des grands. Prix de la mise en scène, soit dit en passant.
Voilà qui conclut ma première expérience au FFM et sûrement pas la dernière. En espérant que je ne vous aurai pas parlé de tous ces films en vain et qu’ils seront un jour présentés dans les cinémas québécois. Au Québec, c’est un combat constant que le cinéphile doit mener face aux distributeurs afin de s’assurer qu’il aura accès au meilleur du cinéma d’auteur étranger. Rien n’est garanti, mais je nous souhaite une année aussi orgiaque en DVD que l’a été le FFM en films.
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