Tous·tes les amateur·rice·s de scrapbooking et de littérature jeunesse vont se régaler du nouveau roman de Sarah Bertrand-Savard. Fidèle à son habitude, l’autrice nous offre un texte tout en collage et en images, de l’épigraphe jusqu’aux numéros de page. Je n’aurai plus jamais peur des migrations donne une impression de journal intime, où on découvre les états d’âme et les pensées d’une adolescente qui s’apprête à vivre un grand chamboulement.
Bertrand-Savard a fait un choix qu’on pourrait qualifier d’osé en proposant un livre de poésie jeunesse s’adressant à un lectorat de onze ans et plus. J’ai eu la chance d’avoir Sarah comme enseignante et je peux témoigner qu’elle met ici en pratique sa philosophie, selon laquelle il est possible de tout écrire et de tout dire; tout dépend de comment on s’y prend. Plusieurs auteur·rice·s jeunesse prennent aussi cette route, notamment Élise Gravel et Simon Boulerice. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on est loin des romans jeunesse des années 80-90.
La poésie est souvent associée à une certaine complexité, inaccessible à un public plus amateur. L’autrice soutient toutefois qu’il faut faire confiance à la jeunesse, à son pouvoir de comprendre et de lire entre les lignes. Le visuel et l’aspect formel sont donc audacieux; l’autrice n’hésite pas à utiliser des jeux de mots et des figures de style pour raconter le stress et l’angoisse d’une adolescente. Elle utilise toutefois un langage qui rappelle l’oralité en restant tout de même très poétique.
Le fond témoigne aussi d’une certaine profondeur, puisque l’autrice met de l’avant des thèmes tels que l’amour et la séparation. Au fil du récit, la protagoniste apprend à accepter l’ennui, le désespoir et la douleur, et à reconnaître la beauté dans le chaos de l’adolescence. Cette jeune fille doit se séparer de sa meilleure amie à la suite d’un déménagement familial sur la Côte-Nord. Cette distance, d’abord physique, va se transformer en distance psychologique avec celle qu’elle a considérée comme sa sœur pendant tellement longtemps. C’est aussi très rafraîchissant d’avoir droit à un récit sur l’amitié entre filles et la sororité dans un champ littéraire qui s’est autrefois beaucoup concentré sur les premiers amours et la découverte de la sexualité.
Le risque, en écrivant un texte s’adressant à un public cible dont on ne fait pas partie, est toujours de ne pas être relatable, de ne pas créer une histoire et des personnages auxquels les lecteur·rice·s peuvent s’identifier. En tant que lectrice dans la vingtaine qui a parfois l’impression d’encore être une adolescente, je crois que Sarah a réussi à intégrer au récit des éléments réellement appréciés des jeunes, comme la musique, le tarot, les animaux, les romans… Elle a également bien su raconter le stress de se faire des nouveaux/nouvelles ami·e·s, l’angoisse d’une nouvelle école et d’une nouvelle vie. Elle sait représenter les vraies inquiétudes, qui m’ont d’ailleurs rappelé plusieurs moments inconfortables de ma propre adolescence. Je me suis revue en train de manger mon lunch dans les salles de bain de l’école secondaire, par peur de me retrouver seule à une table.
La jeune protagoniste commence à faire du collage pour remplir l’attente et pour raconter sa relation avec sa sœur de cœur, comme elle l’appelle. Elle raconte son processus créatif et explique comment elle découpe des mots et des images dans des journaux pour les coller dans un carnet. Elle réussit à s’évader par les mots, pour faire le deuil d’une relation qui ne sera plus jamais la même. C’est thérapeutique de lire, surtout dans un livre jeunesse, sur l’importance de la place que les fantômes du passé occupent dans notre cœur. Merci aux auteur·rice·s comme Sarah Bertrand-Savard de nous le rappeler.
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Bertrand-Savard, Sarah, Je n’aurai plus jamais peur des migrations, Montréal, la courte échelle, coll. « Poésie », 2023, 96 p.
Article rédigé par Mérédithe Naud