Comment captiver un public pendant une heure? Demandez à Nicolas Cantin de monter un spectacle avec deux gamines. Spoon vient conclure son cycle de portraits qu’il avait entamé avec les pièces CHEESE et Klumzy. Présenté dans le cadre du Festival TransAmérique et en coproduction avec le Théâtre La Chapelle, Spoon nous entraîne dans l’univers enfantin de la découverte du spectacle.
Nicolas Cantin me fascine et me captive autant aujourd’hui qu’il me laissait perplexe il y a cinq ans. J’étais sortie de la représentation de Mygale, dernier segment de sa trilogie Trois romances, terriblement agacée et frustrée. Pourtant, le spectacle résonnait dans ma tête et j’ai osé suivre des amis qui allaient voir une reprise de Klumzy en 2015; résultat: j’ai adoré. J’ai donc sauté sur l’occasion d’aller voir Spoon, jusqu’à ce que je me rende compte que le spectacle était entièrement supporté par deux enfants. Cela dit, dans l’entrevue accordée à Mylène Joly se trouvant dans le programme du spectacle, Cantin n’est pas particulièrement fan des enfants non plus; j’en étais rassurée.
Comme Cantin l’explique à Joly, les deux interprètes Gaïa Won de Jong et Fiona Chevarier ne connaissent pas les codes du théâtre et elles en font fi. Il les a laissées libres en répétitions, tout en leur bâtissant un certain cadre. Comme un bricolage d’enfant, le spectacle se construit au gré des interventions des fillettes. Elles se présentent, présentent leur famille, se posent des questions (comme «qu’est-ce qu’un spectacle?» ou plus simplement «que veut dire le mot teeth?») et tentent d’y répondre au meilleur de leurs connaissances.
D’ailleurs, l’anglais et le français se côtoient de façon naturelle, comme c’est le cas à Montréal. Les filles nous parlent en français ou en anglais, sans que ce soit un problème et sans qu’on ne sache vraiment si elles sont anglophones ou francophones; mais est-ce vraiment une question essentielle? Je ne crois pas. Dans la même lignée, Gaïa est asiatique. Est-elle née ici? Ailleurs? Ce n’est pas non plus la question ici, puisque contrairement à bien des productions québécoises, le multiculturalisme n’est pas souligné au crayon gras pour être politically correct, mais il vient plutôt de soi. Elle est présente comme on la retrouve partout à Montréal.
Un peu à l’image d’une salle de jeu, la scénographie est épurée et seulement quelques accessoires jonchent la scène, accessoires que Gaïa et Fiona déplaceront pour nous inviter dans leur espace imaginaire. Nous sommes entraînés avec elles dans leur monde, et bien malin est celui qui réussirait à se sauver de la réalité dans laquelle nous nous retrouvons. Bien qu’une certaine «chorégraphie» ait probablement été répétée ou même un certain schéma ait été dessiné pour la représentation, reste que nous sommes devant deux gamines qui nous présentent ce qu’elles retiennent, avec les failles, visibles ou non, que ça peut comporter. Et c’est là où réside la beauté de la chose.
Notre regard devient enfantin, le théâtre se dévoile sous un nouvel angle, celui d’un enfant qui découvre ce que ça fait d’avoir un public qui le scrute. À ce sujet, Fiona semble avoir beaucoup de plaisir. Elle regarde sa partenaire de jeu, mais nous regarde du coin de l’œil et s’esclaffe de temps à autre selon nos réactions. Notre esprit aussi joue avec elles, tantôt en essayant de répondre aux questions qu’elles se lancent, tantôt en se laissant aller à la candeur d’un tour de magie dont nous connaissons déjà le secret.
Les images créées par les deux enfants nous font souvent rire, mais atteignent aussi à certains moments de nouveaux sommets en matière de beauté. Parlons notamment du passage où Gaïa enfile un masque d’homme âgé (pour ceux qui connaissent Cantin, vous savez de quoi je parle); elle bouge de telle façon que l’image est totalement surréaliste dû au contraste entre son petit corps et le gros masque. Parlons aussi de la fumée qui se répand sur scène et qui bloque partiellement la vue de ce qui s’y déroule, nous offrant à voir des parcelles d’images. Le soir où j’y suis allée, une enfant était assise en première rangée et essayait d’attraper la fumée, comme quoi les jeunes n’ont pas les barrières des adultes et jouent davantage avec les éléments qui les entourent.
Spoon est un spectacle qui nous ramène à l’enfance et nous rappelle le bonheur de découvrir les choses pour la première fois, en essayant de s’expliquer un monde qui nous est encore bien inconnu.
Spoon était présenté du 27 au 29 mai au Théâtre La Chapelle dans le cadre du Festival TransAmérique.
Article par Anne-Marie Spénard – Issue du baccalauréat en Études théâtrales à l’École supérieure de théâtre, Anne-Marie est aussi passée par les Women’s Studies à Concordia . Elle entretient une légère obsession pour la question des genres, la musique et la mer.