Nous sommes ici, c’est 31 artistes, tous nouveaux finissants d’écoles d’art de Montréal, qui se rassemblent le temps d’une semaine pour faire naître 11 projets, précisément des courtes formes de tous acabits. Précédemment orchestré dans le cadre du OFFTA, l’événement organisé par LA SERRE-arts vivants a lieu cette année au Théâtre Aux Écuries dans une nouvelle formule. La plateforme accueille notamment, dans le cadre de cette édition, quatre projets de finissants de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM. J’ai donc souhaité rencontrer les artistes derrière ces quatre propositions. Voici d’abord une entrevue avec Thomas Duret, finissant en jeu et créateur de C’est ma fête (et personne ne m’a invité).

Artichaut Magazine: Qu’est-ce que C’est ma fête (et personne ne m’a invité)?
Thomas Duret: C’est ma fête (et personne ne m’a invité) est un solo mêlant théâtre d’images et clown. Je désire parler de ma solitude et l’étaler de manière ironique dans un univers qui emprunte tous les codes ou clichés du théâtre contemporain québécois.
AM: Qu’est-ce que tu dis avec ce solo?
TD: Aussi ironique que ça puisse paraître, je parle de cette prédisposition que j’ai pour la solitude. Sortez les violons! En fait, je cherche pas à faire pitié, mais à relativiser le fait que la solitude, c’est pas quelque chose de qualifiable, je veux dire, on s’en fout que ça soit perçu comme quelque chose de bien ou pas. C’est là, pis c’est tout. Comme je le disais dans mon dépôt de projet, j’ai surtout envie d’en rire. Y’a vraiment plein de choses dans ma vie qui font en sorte que j’ai tendance à me retrouver seul – encore plus dans le cadre de projets artistiques. Pour certains, ça peut paraître mélodramatique, mais en fait j’ai toujours eu de la difficulté à me faire comprendre, ou à faire comprendre mes idées. Je suis un peu trop souvent dans la lune, dans ce genre de monde imaginaire à la logique weird que je me suis créée au fil du temps, je suppose.
Comme je le dis si clairement dans ce même dépôt de projet: «Ma fête est en juillet, donc jamais fêtée à l’école avec mes amis. Mes frères et sœurs ont 13-14 ans de plus que moi, ce qui revient à être un demi enfant unique. J’ai déménagé de France vers ici à l’âge de 5 ans et j’ai toujours été considéré comme un étranger. J’ai été petit pendant très longtemps au secondaire, me faisant ainsi écœurer par les autres. Mon meilleur ami s’est suicidé. Je suis célibataire depuis 3 ans. J’ai toujours trippé sur des filles qui s’intéressaient pas à moi. Je me retrouve toujours à travailler tout seul en théâtre. Je suis socially awkward. Ma vie est pas si dramatique mais j’aime en rire (plutôt que d’en pleurer). Cette solitude me suit également au théâtre. J’ai une énergie solitaire, je fais souvent des solos, je gère ma compagnie de théâtre tout seul, ce n’est pas évident pour moi de trouver des partenaires créatifs avec qui ça clique vraiment et j’ai de la difficulté à parler de mon univers créatif.»
Disons qu’on a peut-être là les prémisses de mon univers absurde.
AM: Qu’est-ce que tu vis dans C’est ma fête (et personne ne m’a invité)?
TD: Pas grand-chose. Non en fait, je ne le sais pas encore, à vrai dire. Au moment où j’écris ces lignes, je sais exactement ce que je compte faire sur scène devant les gens, mais je ne sais pas encore comment je vais le vivre. Je pense que je vais vivre ce que toute personne fait quand elle crée ce genre d’univers absurde: espérer que ça fasse effet. Je dirais que le pire serait qu’il n’y ait pas de réaction. Pour moi, c’est pire quand quelqu’un sort d’un spectacle indifférent plutôt qu’insulté ou choqué.
AM: Pourquoi donc fais/dis/vis-tu ça?
TD: Il y avait ce désir de mélanger deux paroles. Celle de dire que je suis tanné de voir les mêmes choses revenir d’un spectacle à l’autre (d’où le côté «disséquer l’esthétique du théâtre contemporain») et celle du «je suis seul, pis je suis tanné d’être seul, mais pas tant dans le fond parce que la solitude a aussi quelque chose de confortable». Dans ma démarche, depuis la dernière année, je travaille beaucoup sur la notion de constat. Un constat, c’est quelque chose de brutal qui ne fait aucun compromis. Il n’est ni provocateur ni apaisant. Il est à la fois loin et proche de la vérité; il la touche sans la nommer. Il reconnaît l’état des choses. Ce qui est troublant et puissant avec un constat, c’est qu’il n’est accompagné d’aucun système de valeurs autre que celui du spectateur, qui est multiple et variable. C’est cette notion de constat qui revient dans chacune de mes œuvres. Je trouve plus intéressant de travailler sur un constat que sur un sujet avec une opinion et de dire dans mon discours «Regardez, ces choses sont horribles» ou «On devrait faire ça et changer les choses» (malgré le fait que j’ai quand même une opinion sur ladite chose, je ne fais pas que la nommer).
En faisant un constat (peu importe la forme que j’utilise – théâtre, danse, arts visuels ou performance), une multiplicité de langages apparaît pour le public. C’est un genre de miroir qui renvoie les gens à leur propre système de valeurs, chose beaucoup plus confrontante selon moi. Ça me permet de montrer les choses telles qu’elles sont en n’endossant pas le rôle du bouc émissaire.
Je dirais, pour résumer, que je cherche à faire un constat sur ma propre situation de gars solitaire autant que sur la situation du théâtre contemporain aujourd’hui. Je vois le théâtre contemporain comme une grande fête à laquelle je n’ai pas été invité. D’où le titre.
AM: Tes inspirations pour C’est ma fête (et personne ne m’a invité)?
TD: Pour ce solo (c’est le 3e depuis ma sortie de l’UQAM, j’ai trouvé mon pattern faut croire), j’ai principalement été inspiré par le film de Roy Andersson Un pigeon sur une branche philosophait sur le sens de l’existence. C’est un film profondément drôle et tragique à la fois, exactement comme le clown. En regardant le film, j’avais à la fois envie de rire et de pleurer, et je me suis tapé des fous rires comme rarement j’en ai eu au cinéma ou au théâtre. Ça me rend un peu dingue ce genre d’univers, je deviens carrément cinglé. Et particulièrement dans ce film, les scènes avec les deux vendeurs de farces et attrapes. C’est littéralement à varger dans les bancs autour de soi tellement c’est bon et drôle. Bref, ça a allumé quelque chose en moi et j’ai eu envie d’aller transposer ça sur scène avec un discours plus propre à ce que j’avais envie de dire. Maintenant que tout ça est dit, je tiens à spécifier que mon numéro n’est absolument pas drôle comme le film, histoire que les gens ne se fassent pas d’attentes à ce sujet.
AM: La courte forme pour toi, c’est contraignant/stimulant/aucun changement?
TD: Ça dépend. En général, j’adore voir et faire des courtes formes. Je trouve que très souvent on a tendance à s’étendre sur scène alors que le spectacle aurait pu durer moitié moins de temps. Je repense à certains spectacles de 2h qui, pour moi, avaient fait leur «job» après 45 minutes, et dont le 1h15 restant n’était que souffrance. De plus, que ça soit en écriture ou en «mise en scène» de projets, j’ai de la difficulté à dépasser 35-40 minutes. Donc là, 10 minutes, ça se fait bien. Sauf qu’en même temps c’est traître parce que 2-3 minutes de plus auraient suffi pour serrer tout ce qu’on voulait dire. Pour moi, 10 minutes, c’est pas assez dans ce cas-là. Mais ça reste stimulant.
AM: Comment on se sent en tant que jeune diplômé en théâtre de l’UQAM?
TD: Comme le gars à la fin de Shawshank Redemption. Spoiler alert.
AM: Ce que tu souhaites aux diplômés qui suivront?
TD: J’ai trop de gags en tête et j’arrive pas à faire un choix. Je leur souhaiterais simplement de devenir des leaders d’eux-mêmes et de ne pas abandonner la naïveté qu’ils peuvent porter en eux. Et de travailler avec moi. #LOOOOOOOOOOOOOOOL #hashtag #troll
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L’événement Nous sommes ici/We are here aura lieu du 10 au 12 décembre prochain au Théâtre Aux Écuries.