En terminant la lecture de Conduire à sa perte, tout nouveau roman de Jean-Nicolas Paul, je suis complètement bouleversée. L’auteur y propose un monologue écrit à la première personne qui nous transporte aux côtés du protagoniste, un agresseur au volant d’une voiture qui roule à toute vitesse sur l’autoroute. Les descriptions de l’habitacle et les réflexions sur ses gestes, qui défilent aussi rapidement que les arbres sur la chaussée, nous donnent réellement l’impression d’y être. En nous donnant accès au monologue interne de son protagoniste, l’auteur nous place dans une position bien particulière ; nous sommes les premiers témoins d’un drame conjugal.
Jean-Nicolas Paul écrit son livre en un seul souffle, illustrant ainsi sa grande maitrise de la langue française. Alternant entre le moment présent dans la voiture, les flashbacks et le moment du drame, nous vivons toutes les scènes très rapidement. L’auteur nous fait le portrait d’un couple au bout du rouleau pour qui la communication semble un grand défi. Chacun possède sa version des faits, teintée par sa perspective de la réalité. Nous sommes témoins de la violence conjugale, de gestes brutaux. L’œuvre peut donc être un gros trigger pour les personnes ayant elles-mêmes vécu de la violence conjugale puisque nous sommes spectateur·rice·s de plusieurs agressions, et ce, autant physiques que verbales. Bien qu’il touche à un sujet extrêmement sensible, l’auteur ne tombe jamais dans l’excès. Jean-Nicolas Paul nous entraine dans le monologue intérieur d’Alexandre. Alors qu’il pense avoir commis l’irréparable, celui-ci prend le volant et tente de trouver le courage de traverser dans la voie inverse afin d’être percuté de plein fouet par un camion. Son discours interne semble contradictoire, accusant à la fois Julie, sa femme, de tous les maux et en s’excusant du geste odieux qu’il a commis. La culpabilité et le regret le rongent. Ainsi, le roman montre qu’il est possible de voir la violence conjugale sous un jour nuancé. Elle ne devrait évidemment jamais avoir lieu, mais elle est souvent le résultat d’un énorme manque de ressources.
Je me suis surprise à éprouver de l’empathie pour ce père de famille qui a commis l’irréparable. On le sent à bout de souffle, mais surtout à bout de ressources. Une personne qui, même une fois incarcérée, n’aura pas accès à l’aide dont elle a besoin. Une personne qui vivra avec les conséquences de ses actes toute sa vie, en plus de les faire subir à tous·tes celleux qui l’entourent, qui vivra à jamais avec la honte et la culpabilité de ne pas avoir su gérer adéquatement cette situation. Un homme qui sera éternellement condamné par la société. Un homme qui n’a pas reçu les outils nécessaires pour gérer ses émotions, sa colère. Rien ne peut pardonner ces gestes, mais quels sont les moyens de les prévoir et de les empêcher?
Le roman Conduire à sa perte rappelle que la violence, quelle que soit sa forme, engendre inévitablement la violence.
Paul, Jean-Nicolas, Conduire à sa perte, Montréal, Tête première, coll. « Tête ailleurs », 2024, 120 p.