Ça sent la coupe de Patrice Sauvé (Cheech, Grande ourse), présenté en ouverture des Rendez-vous du cinéma québécois (RVCQ), s’ouvre sur un plan macro d’un œil sur lequel se reflètent des images d’un match de hockey. La voix off de Louis-José Houde se fait entendre, s’adressant avec émotion à son père disparu : « Te souviens-tu du Vendredi saint contre les Nordiques? » Voilà fort possiblement, en un seul plan, les trois piliers de la culture québécoise dans ce qu’elle a de plus complexée et angoissée. Au nom du père, de l’humoriste et de la Sainte-Flanelle.
Max (Louis-José Houde) est probablement le gars pour qui le « spécial gars » de Ricardo a été pensé, et on trouverait difficilement trentenaire plus « typique » que lui. Complètement obsédé par le hockey (ça en est presque une monomanie), il garde la flamme nostalgique vivante à travers le déclinant magasin familial, spécialisé dans la vente de souvenirs liés au hockey. Le film s’ouvre en plein milieu de la saison de hockey 2009-2010, alors que Julie (Émilie Bibeau), la petite-amie de Max, décide le quitter. Stupeur de l’intéressé, qui tente de comprendre les raisons de cette rupture. Un de ses amis lui propose un (littéral) plan de match pour la reconquérir, élaborant sur les principaux problèmes du couple : « Hockey. Nous. Magasin. Un peu cave ». Ce dernier point est important, Max n’étant pas exactement l’ampoule la plus brillante du Centre Bell, menant à des bévues aussi malheureuses que prévisibles.
Il y a en somme très peu à dire d’un examen de surface du film. Le produit est taillé sur mesure pour son interprète principal, et ralliera sans doute un large public (voir la Sainte Trinité énumérée plus haut). Dieu merci, on se sauve des enfants malades, des cartes de hockey volantes et des leçons de vie de chauffeur de zamboni du risible Pour toujours les canadiens (incidemment sorti en 2009, pour marquer le centième anniversaire du club), ce qui est toujours ça de gagné. La réalisation, sans être particulièrement inspirée, parvient à maintenir le navire à flot, en dépit du scénario épisodique de Matthieu Simard (adapté de son roman). Les fans de Louis-José Houde seront sans doute très heureux de retrouver leur humoriste préféré, qui y va de quelques un de ses mots d’esprit choisis. Il n’en demeure pas moins que, si le film n’a pas les irritantes prétentions d’un Votez Bougon, il demeure révélateur d’un profond marasme culturel au Québec.
Que dire, en effet, de Louis-José Houde qui, bien malgré lui sans doute, en est venu à incarner le stéréotype d’un certain trentenaire québécois : quelqu’un de somme toute bien sympathique et amusant, mais de fondamentalement ennuyeux, apolitique, adolescent-mais-fier-de-l’être, une célébration plutôt qu’une contestation de la vie dans ce qu’elle a de plus aliénant et déprimant. Son style verbomoteur et sans filtre se fait le porte-parole d’une génération X complètement passée à côté de l’histoire, et qui, occasionnellement, entre deux partys, se demande avec un frisson d’angoisse : « Comment ça se fait que je suis plus épais que mon père? » À l’instar des spectacles de Louis-José Houde, Ça sent la coupe tourne autour d’une question similaire, un dilemme qui, pour d’autres, tiendrait de l’évidence : mon amoureuse ou le hockey? En termes plus symboliques, un choix entre la maturité et l’immaturité, soit plus ou moins le même choix qui affecte la quasi-totalité des trentenaires cis, hétéros et blancs du cinéma québécois[1] : dois-je rester un ado ou devenir plate comme tout le monde?
Et qu’on ne s’y trompe pas, Ça sent la coupe nous présente sans doute la plus belle gang d’ados trentenaires des dernières années, qu’on regarde avec un certain amusement se débattre avec les problèmes les plus simples (ne pas mettre le beurre d’arachide dans le frigo, par exemple), dont l’obsession avec le hockey frise la dépendance – la caméra nous présente souvent ces sportifs de salon, illuminés par la lumière blafarde de la télévision, la Molson à la main, l’œil hagard, la bouche entrouverte, inconscients du monde qui les entoure. Pas étonnant que les femmes (qui, nécessairement, sont réduites au rôle peu gratifiant de materner leurs chums) se sentent ignorées, pour peu qu’elles n’adhèrent pas au hockey et à la vie adolescente[2]. Quand Julie fait des reproches à Max, elle pourrait aussi bien s’adresser à toute une génération: « On se parle pas, nous autres ».
Typiquement, le film ne tentera pas de renverser cet état de fait, et se contentera (à l’instar de Votez Bougon) de trouver une solution alternative à la vie adolescente et à la vie plate – la vie familiale, le groupe, la tradition. Ça sent la coupe devient dès lors la fable familialiste d’un Québec uni, sans discorde, uniforme, rassemblé par le hockey (RDS remplaçant les sermons radiophoniques). Le film se conclut avec des images dignes d’une pub de Molson Dry où tous sont rassemblés devant le saint téléviseur pour regarder un match de hockey, dans l’allégresse générale. Croyant bien faire, les cinéastes ont même ajouté à ces images idylliques quelques membres des « minorités culturelles » pour montrer « qu’on aime la diversité »[3]. Sans doute le film idéal pour faire rêver à la vieille d’un match, mais comme la coupe Stanley, c’est un rêve brillant, mais surtout très creux.
Le choix de Ça sent la coupe comme film d’ouverture des RCVQ représente incontestablement un choix plus populiste que celui de Boris sans Béatrice, de Denis Côté, l’an dernier. Les poussiéreux commentateurs exigeant un « cinéma que le monde a envie de voir » peuvent se réjouir : le film de Patrice Sauvé a été choisi spécialement pour eux. Les amateurs d’un cinéma plus exigeant pourront toujours se rabattre sur les autres films de la sélection régulière, où, bon an mal an, on continue de trouver des films québécois osant être davantage qu’une fenêtre grise sur le monde, où on rêve de plus qu’une famille réunie devant une télévision.
Ça sent la coupe, réalisé par Patrice Sauvé, a pris l’affiche le 24 février.
[1] Dans les 10 dernières années, pêle-mêle, on citera : De père en flic, Le Mirage, L’Âge des ténèbres, Starbuck, Québec-Montréal, En terrains connus, etc.
[2] Sans surprise, on ne voit que des femmes occuper les emplois dits « sérieux » (ambulancière, gestionnaire, etc.), les hommes pratiquant leur métier de façon beaucoup plus libérale (quand ils le pratiquent tout court!).
[3] N’allez toutefois pas croire qu’on a cru bon d’accorder ne serait-ce qu’une ligne de dialogue à ces personnages.