Après le recueil de poèmes De rouge et de blanc, les romans Ourse bleue et le remarqué L’Amant du lac, l’écrivaine et peintre Virginia Pésémapéo Bordeleau vient de publier L’enfant hiver aux éditions Mémoire d’Encrier. Évoquant le décès de son fils, elle y pose des questions universelles et profondes: comment survivre à la mort? Que faire d’un tel drame? Virginia Pésémapéo Bordeleau en a fait un livre d’une puissante beauté et confirme ici la force et la finesse de sa plume.
Il est difficile de trouver les mots pour parler de ce livre. Virginia Pésémapéo Bordeleau dit l’avoir écrit pour ne pas mourir de la mort de son fils, survenue il y a deux ans. C’est un texte puissant, douloureux et pudique, au fil duquel on avance comme au travers d’un deuil.
Le roman s’ouvre sur une naissance, celle de l’enfant qui, venu au cœur de l’hiver, s’annonce déjà fragile. Les premières pages contiennent à elles seules les émotions mêlées d’amour et de peur qui guideront le récit.
«La mère fixait les mains gantées qui dansaient sur le corps de son petit, qui le secouaient comme pour le réveiller. Le vieil homme travaillait avec ferveur, toute son attention centrée sur la respiration du nouveau-né qui, enfin, émit un coassement de grenouille incertaine du printemps arrivé. Les larmes du père. Son mutisme à elle, figé par ces minutes interminables de terreur intime piégée en son ventre, qui continuait ses pulsations rapides au rythme de son cœur. […] Une fois seule, elle pleura, pria avec des rires et des «merci, merci» vers le crucifix accroché au mur face à son lit. La neige continuait sa descente, couvrait le rebord de la fenêtre; le poupon étroitement blotti contre sa poitrine, elle laissa son regard errer sur les flocons derrière la vitre jusqu’à l’essoufflement du désarroi en elle1».
Le texte, sorte de patchwork de souvenirs, est adressé par la narratrice à son père, dont on comprend qu’il est à la fois aimé et craint. L’enfance de la mère se superpose à celle du fils et les blessures de chacun se répondent en douloureux échos. On parcourt donc des bribes de vie; la vie d’une fille, d’une sœur, d’une femme. Virginia Pésémapéo Bordeleau, mère, nous parle de Simon, son enfant; de sa beauté et de son goût du risque. L’enfant hiver est un livre mordant, qui brûle comme le froid presque polaire qui sévit parfois par ici.
Aux instants de joie suivent ceux d’une peine incommensurable. La langue ciselée de l’écrivaine retransmet avec brio les fulgurances émotionnelles liées à l’amour maternel, à la béance de la perte. L’expérience du deuil est l’occasion de relire une vie difficile à l’aune de cette épreuve, la plus grande certainement.
Au-delà du drame immense qu’est la disparition d’un enfant, ce roman raconte la vie, ses claques, la force qu’il faut pour s’en relever, les cadeaux qui surgissent du néant.
Il y a cette très belle scène chez les Sioux du Lakota, quand au cours d’un rituel de guérison auquel était venue participer une amie, la narratrice renoue avec l’espoir. Les amis sont des figures bienveillantes qui veillent derrière chaque page. Ils accompagnent la narratrice dans sa traversée du désert, la raccrochent sans cesse à la vie. Hommes et femmes, leurs présences réchauffent ce livre difficile. L’art est présent aussi, ou plutôt la création dans toutes ses nuances. Celle de la terre, et celle des artistes: peinture, musique, littérature. Tout ce qui naît est une réponse possible à l’horreur de la mort.
Ce récit est une lutte vers la lumière. Il ne nous expose pas à une guérison simple et automatique, mais en montre au contraire les rouages, la volonté de vie nécessaire et les étapes franchies, du désespoir aux petites joies. Il explore une expérience tout autant qu’il paraît en faire partie. Virginia Pésémapéo Bordeleau nous rappelle combien la littérature nous est intime, combien le livre lu et écrit nous apaise.
L’enfant hiver semble né d’une double volonté: écrire pour défaire la douleur, mais aussi écrire la légèreté, la vie. La vie qui jamais ne s’arrête. «Tu es parti en nous laissant la terre», écrit Virginia Pésémapéo Bordeleau à son fils pour clore son récit. Il vit dans ce vibrant hommage.
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Virginia Pésémapéo Bordeleau, L’enfant hiver, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014, 160 p. Vous pouvez lire ici la critique de Comment faire l’amour à une amérindienne sans se fatiguer.
1. Virginia Pésémapéo Bordeleau, L’enfant hiver, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014, p. 13.
Article par Alice Lefilleul – Doctorante en littérature Comparée. Chroniqueuse culturelle chez Touki Montréal.