Thursday

17-04-2025 Vol 19

Dans Daïva, Stéphane Moraille renoue avec ses racines

Le 23 février dernier, la chanteuse Stéphane Moraille, auteure-compositrice et interprète, sortait son tout nouvel album intitulé Daïva.

Découverte en 1997 au sein du collectif d’artistes Bran Van 3000, Stéphane Moraille se fait très vite remarquer grâce à sa voix puissante. Les enfants des années 90 se rappelleront longtemps de sa prestation emblématique dans la chanson « Drinkin in LA ».

Après s’être tenue loin de la scène musicale pendant un certain temps, Stéphane se décide à remettre un pied dans les studios l’année dernière, nous donnant aujourd’hui l’occasion de l’écouter grâce à son tout nouvel album Daïva. Avec la collaboration de Pierre-Luc Cérat qui cosigne la musique, elle réalise ainsi sa deuxième production après Florida Water sorti en 2007.

Pochette de Daïva, nouvel album de la soliste Stéphane Moraille (source : Facebook officiel de l’artiste)

Teinté de styles et d’accents variés, Daïva se place clairement sous le signe de la diversité. D’origine haïtienne, l’artiste nous fait découvrir et nous fait voyager dans un monde aux tonalités tantôt soul, tantôt world, ou encore house. N’hésitant pas à mélanger sa langue maternelle avec l’anglais, elle interprète ses chansons avec beaucoup de ferveur et signe ici , un genre de retour aux sources.

Parlons d’abord des choses importantes. Stéphane Moraille, diva de la soul et reconnue comme telle, est une femme de scène. D’ailleurs, elle est née grâce à la scène  au travers du collectif Bran Van 3000. Pour cette artiste, un show efficace est la condition sinequanone pour faire de la bonne musique. En témoigne son premier album, clairement tourné vers le public de Bran Van. Dans Florida Water, beaucoup de ses chansons, composées de rythmes très soutenus, ont pour but ultime de nous faire danser sur la piste, ceci, agrémenté – il faut tout de même le mentionner – d’une solide volonté d’affirmer ses valeurs et ses prises de position.

Dans son second recueil, le personnage est loin d’avoir perdu son sens de la revendication, mais prend des risques en voulant s’exprimer autrement. « Favourite » en est une belle illustration: musique au rythme chaleureux, bercée de la voix de la chanteuse, tout en justesse. Dans le même registre, le titre « Fanm vayan » est un coup de cœur. Le vidéoclip, qui met en images la chanson, est tourné dans une région que l’on imagine être le pays de l’interprète. La vidéo nous révèle alors les femmes qui peuplent son environnement. Chantée en créole – et donc peu accessible pour ceux qui ne le parle pas – la mélodie laisse toutefois entrevoir une belle proximité avec ces femmes. On sent une envie de les mettre en valeur et de leur donner l’occasion de s’exprimer au travers de ce qu’elles font et de ce qu’elles sont. Les titres « Twilit » et « Goods Hands » s’inscrivent dans la même lignée, avec des influences haïtiennes traditionnelles et des rythmes soul amenant beaucoup de fraîcheur à l’album. Dans ce dernier opus, Stéphane use de tout son potentiel pour nous donner un des morceaux mettant le mieux en valeur sa voix.

Au fur et à mesure de l’écoute, une autre partie de l’album se dessine et nous ramène à l’image de la diva que l’on connaît déjà. On pense à « Supernova », « Expensive (Aloufa) », ou encore « Reckoning ». Dans ce titre, le rythme soutenu et saccadé possède tous les attraits d’un bon morceau de musique commercial.  C’est bien dommage, parce que les paroles – construites à partir d’un texte de Jim Corcoran et rappelant le récent mouvement #MeToo – bien que très pertinentes, sont relayées au second plan. Dans ce sens, les titres « Pi Wo » et « Babylon » constituent un bon compromis, avec une base très dansante dans laquelle on sent tout de même les influences grandissantes de la musique haïtienne traditionnelle.

En bref, on notera la présence de belles énergies dans cette nouvelle production, pour un résultat plutôt hétéroclite. Beaucoup de personnalité et d’inspirations différentes peuplent l’œuvre qui se trouve alors sans le vouloir scindée en plusieurs morceaux. On sent une artiste à la recherche d’une nouvelle identité sans pour autant être prête à abandonner l’image de la diva qu’elle était.

Les chansons empruntes d’une tonalité plus traditionnelle sont parfaitement interprétées et reflètent une image inédite de la chanteuse, sensible et juste. Une Stéphane Moraille comme celle-ci, on en veut et on en redemande! Mais la déception est tout de même présente pour des pièces plus commerciales.

Avant de terminer, on ne laissera pas s’enfuir la constance dans cet album : l’investissement de l’artiste pour des causes qui lui tiennent à cœur. Grâce à des mélodies puissantes et des paroles fortes, Stéphane ose, s’exprime, revendique sa place et celle de la femme dans la société actuelle.

Ce qu’il faut en retenir, c’est que parfois, il est possible de prendre position avec autant d’émotions, simplement en y mettant tout son cœur plutôt que toute sa voix.

Daïva, Stéphane Moraille, Audiogram, Montréal, 2018.

Article par Marie-Blanche Rossi.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM