Nous laissant encore sur notre faim quant à la succession à la direction générale et artistique du Festival TransAmériques, Marie-Hélène Falcon nous fait toutefois baver avec ce dévoilement d’une première partie de la programmation 2014. Éminemment contemporains, les spectacles présentent, dans des formes singulières, des réflexions sur les origines de l’humain, de son langage, de la communication, de la culture ainsi que des arts et de ses formes.
Un fil conducteur très clair semble porter les choix de la direction artistique: le regard porté vers l’origine, le «début», comme une programmation quasi «génétique», avec une belle unité.
Les spectacles
Le Nouveau Théâtre Expérimental présente sa trilogie L’Histoire révélée du Canada français, 1608-1998, complétée à l’occasion du Festival TransAmériques. Composée d’Invention du chauffage central en Nouvelle France, des Chemins qui marchent, et du Pain et le vin, la saga est, au dire de Alexis Martin, «une tentative candide de mettre l’histoire au premier plan». Il y sera question d’histoire nationale, d’oublis salvateurs et d’éléments fondateurs de la constitution d’une identité collective.
Qualifié de chef-d’oeuvre par Marie-Hélène Falcon, Snakeskins sera présenté en reprise après son succès primé de 2013. Benoît Lachambre (Par B.L.eux) y aborde la question délicate des premières nations, des traces que celles-ci ont laissées chez lui, dans le conscient comme dans l’inconscient, le tout dans un langage onirique. L’orchestration intense du «faux solo» transporte le spectateur dans l’inquiétante faille entre le réel et un décalage incertain.
Les particules élémentaires s’annonce comme un des coups de massue de cette édition. Julien Gosselin, de la compagnie Si vous pouviez lécher mon coeur, jeune metteur en scène français de 26 ans, porte à la scène le roman phare de Michel Houellebecq avec dix acteurs qui jouent de la musique et se font commentateurs, interprètes et narrateurs de l’action. Cette fresque de 3h40 nous fait voyager dans l’histoire, depuis mai 1968 jusqu’à aujourd’hui, afin d’explorer le social et l’intime, le philosophique et l’universel, et d’examiner la possibilité d’une post-humanité qui suivrait la présente dissolution de la fédération communautaire.
Antoine Defoort et Halory Goerger, qui nous avaient donné il y a deux ans le décapant &&&&& & &&&, nous livrent cette année Germinal, l’histoire de l’univers au complet (rien de moins), de ce qui fait «poc-poc» ou «pas poc-poc» et de la catégorisation de l’humain. C’est en quelque sorte notre besoin de classer pour comprendre qui est à la base du spectacle, notre rapport à l’objet en tant qu’objet, une nouvelle logique de la perception complètement hilarante.
Misfit Blues, la nouvelle création du chorégraphe Paul-André Fortier, propose un regard très humain sur le couple et la constitution du langage interpersonnel. Ce duo avec Robin Poitras développe une galerie de personnages clownesques à la fois pervers et attachants par le biais d’un langage en construction.
Texte chorégraphique et défi d’interprétation, Solitudes solo de Daniel Léveillé fera se succéder trois solistes au sommet de leur art «à contre-courant de la frénésie ambiante». «Comme un retour à l’essence de la danse dans sa forme épurée», l’oeuvre de Léveillé nous parle intimement de l’être dans toute sa profondeur, de la naissance et de la mort du sentiment amoureux et du codage des relations interpersonnelles.
D’une même pulsion de danse, D’après une histoire vraie de Christian Rizzo (L’Association fragile) fait dialoguer contemporanéité et tradition méditerranéenne. Percussions rock tribal et festivité, l’oeuvre nous ramène à l’universalité du geste humain, du groupe et de l’échange.
Sept spectacles qui piquent notre curiosité et nous donnent la vive impression que cette dernière programmation de Marie-Hélène Falcon est d’une cohérence parfaite. En conclusion de son important apport au Festival, elle nous offre une sorte de retour à la source de la pratique des arts et de la communication humaine, comme un dialogue avec l’Autre, l’ancien, le contemporain.
Reste maintenant à attendre impatiemment le dévoilement de la suite de la programmation et voir si la thématique sera encore développée. Une belle mouture s’annonce encore cette année et sans doute sera-t-elle pleine d’agréables coups de poing.
Josianne Dulong-Savignac et William Durbau
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La 8e édition du Festival TransAmériques se tiendra du 22 mai au 7 juin prochain.
Jusqu’au 24 mars, un forfait «Prédévoilement» de 3 spectacles pour 100 $ est disponible à La Vitrine, en ligne et par téléphone (514-844-3822).
Article par William Durbau. Étudiant à la maîtrise en théâtre, il s’intéresse principalement à l’image (plus particulièrement à l’iconologie), à l’écriture du monstre et à sa mise en scène. Il s’intéresse également à la danse et à la performance. Il lit W.J.T. Mitchell, Paul Ardenne, Giorgio Agamben, et plusieurs autres.