Vous souvenez-vous des derniers jours précédant la mise en quarantaine? Je me souviens d’avoir dit « à la semaine prochaine » à mon amie lorsque je l’ai vue pour ce qui, je l’ignorais, allait être la dernière fois avant longtemps. Je me souviens de l’autobus vide malgré l’heure de pointe et de la blague du chauffeur : « J’veux pas dire merci covid, mais… » Phrase qui me revenait en tête chaque fois que le nombre de victimes augmentait. J’avais de la difficulté à décrire les sentiments ressentis pendant la quarantaine jusqu’à ce que je tombe sur cette phrase lors de ma lecture de Quelqu’un a débranché la Grosse Pomme de Zovi : « J’essaie de me tourner vers l’avenir, mais le confinement me plonge dans des souvenirs qui étaient au présent il y a encore quelques semaines[1]. »
Habituée des illustrations – il est possible de retrouver ses dessins sur les panneaux publicitaires du métro de New York, pour lequel elle est graphiste –, l’artiste franco-chinoise fait son entrée dans le monde littéraire avec Quelqu’un a débranché la Grosse Pomme, une bande dessinée publiée à la Saint-Valentin chez Mécanique générale. Le récit autobiographique explore les changements draconiens provoqués par la pandémie sur sa vie et celle de son entourage.
Zovi réside en Chine depuis dix ans. Elle y occupe un emploi stable de graphiste et y gère à la fois un quintette de jazz et un magazine indépendant, mais cela ne l’empêche pas d’aller rejoindre son petit ami à New York. Elle ne devait y passer que trois semaines, afin d’évaluer leur capacité à cohabiter avant qu’il n’emménage chez elle. Cependant, lorsque la covid force la ville qui ne dort jamais à plonger dans un sommeil artificiel et repousse sans cesse son retour à Shanghai, elle se rend compte de l’ampleur de la situation et comprend qu’elle ne pourra jamais revenir à sa vie d’antan. Plus encore, elle réalise qu’elle ne veut pas y retourner. Commence ainsi son nouveau quotidien, rempli de plexiglas, de manifestations, d’angoisses médicales et fiscales, mais aussi d’amour, de support et d’opportunités.
Quelqu’un a débranché la Grosse Pomme est un album d’une centaine de pages, colorées d’une palette rosée qui permet de représenter des décors idylliques. Les dessins de Zovi, légèrement angulaires et cartoonesques, accompagnés par sa plume cursive, présentent au lectorat le point de vue d’une personne ordinaire face à une situation extraordinaire. À la fois personnelle et universelle, la bande dessinée nous offre une expérience d’une charmante honnêteté. Lecture rapide et agréable, Quelqu’un a débranché la Grosse Pomme laisse derrière elle le rappel que, même si nous étions isolé·e·s, nous n’étions pas les seul·e·s à essayer de surmonter les effets d’une situation imprévisible. Et bien que simple, ce rappel est rassurant.
[1] Zovi, Quelqu’un a débranché la Grosse Pomme, Montréal, Mécanique générale, 2023, p. 83.
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Zovi, Quelqu’un a débranché la Grosse Pomme, Montréal, Mécanique générale, 2023, 128 p.
Article rédigé par Audrée Lapointe