Le lancement de Guédailles, la revue annuelle du collectif les Panthères rouges, s’est tenu dernièrement dans la chaleureuse atmosphère du Sporting Club. Alors que le précédent numéro portait sur la valorisation des tabous du corps féminins, ce deuxième volume de Guédailles nous transporte ailleurs, en explorant cette fois-ci les enjeux des identités de genre et des sexualités. Un nouveau numéro qui témoigne de la volonté de créer un «safe space» où puisse se déployer une poésie désaliénée des contraintes normatives.
Les Panthères rouges est un collectif féministe artistique créé en 2015. Né de la volonté de libérer le corps féminin des tabous qui lui sont imposés, ce collectif crie, parle, chuchote et écrit le sang, la chair, les fluides, les poils, les crampes. Le corps féminin se voit dans cette pratique créatrice soustrait au « male gaze » qui l’objective. Incarné, il est réinvesti par ce collectif de manière à ne plus être l’objet d’un regard masculin. En se tenant loin d’une cyprine magnifiée, celle-là même recueillie par les poètes classiques auprès de leurs muses, les Panthères rouges ont su créer en peu de temps une poésie audacieuse et inédite afin de se réapproprier ce qui est tu et ce qui est toujours craint.
Dans ce deuxième volume de Guédailles, elles s’éloignent un peu de la chair afin de parcourir l’hétérogénéité de l’identité de genre. Regroupant 12 artistes invité.es d’horizons différents, le deuxième volume présente des créations plus diversifiées. C’est d’ailleurs ce qui nous est donné à entendre lors du lancement par des lectures qui nous font prendre conscience de notre place et de nos privilèges depuis longtemps pris pour acquis : une remise en question peu réfléchie en comparaison à celle imposée par la queerphobie, le sexisme intériorisé et le racisme. Intense, cette soirée fait office de « content warning » à la revue : derrière ses apparences de rose pastel, Guédailles n’a rien d’ingénu.
La revue
Lorsque nous nous attardons à la première de couverture, nous ne pouvons manquer de constater le renversement et la subversion de plusieurs codes liés au féminin. Le titre donne instantanément le ton à la revue. « Guédaille », terme de registre familier, presque populaire, se définit comme une « femme aux mœurs légères ». Signifié péjorativement, il est synonyme au pire de « fille facile » au mieux de « femme galante ». Il suffit d’avoir lu ou entendu une seule fois les Panthères rouges pour comprendre toute l’ironie qui se cache derrière l’emploi de ce terme. « Guédaille » fait l’objet d’une réappropriation par les Panthères rouges. Comme Judith Butler l’a démontré en 2004 dans Le pouvoir des mots, un terme insultant et offensant peut, en raison de sa réitération, se voir réapproprier par le groupe à la base ciblé par l’injure. Butler souligne que « retourner l’énoncé, l’arracher à son origine, est une façon de déplacer le lieu de l’autorité par rapport à l’énonciation[1] ». En nommant la revue Guédailles, les Panthères rouges déplacent le pouvoir de l’insulte pour se le réapproprier : elles deviennent celles qui (se) nomment tout en refusant d’être nommées par l’injure. Non plus passives, les guédailles se mettent en mouvement et choisissent leur arme, le « stringshot ». Sur fond d’un rose pastel, cette douce couleur (trop) longtemps associée au féminin, se dresse un lance-pierre. Malgré les connotations ludiques qu’on lui prête, le lance-pierre est considéré comme une arme. Hier arme guerrière, aujourd’hui arme de chasse, elle est sur la quatrième de couverture réappropriée par les guédailles qui remplace la membrane de caoutchouc du lance-pierre par un « string » rose. Ce qui de prime abord est utilisé pour sexualiser le corps des femmes devient sur la quatrième de couverture la composition d’une arme.
«Nous formons une descendance née de la violence, alors que nos halètements mêmes se raréfient dans les champs, les rues, les taxis et les chambres à coucher. /Nous n’acquiescerons plus.» (Guédailles, p.8)
Leurs mots deviennent des projectiles. Armé de stringshots, ce « nous » collectif et féminin tend les élastiques.
Disponible à la libraire Le port de tête, L’Euguélionne et La flèche rouge.
Panthères rouges, Guédailles, vol. 2, Montéal, 59 p.
[1] Butler, Judith, Le pouvoir des mots. Politique du performatif, trad. de l’anglais par Charlotte Nordmann, Paris, Amsterdam, 2004, p. 132.
Article par Annie Gaudet.