Le crépuscule des superhéros, c’est d’abord un dossier thématique Pop-en-stock codirigé par Antonio Dominguez Leiva et Gabriel Tremblay-Gaudette. En tant que prolongement du projet, le recueil éponyme, récemment publié par les Éditions de Ta Mère, est un collectif d’essais et de textes scientifiques inédits. Rassemblant des écrits de plusieurs chercheurs québécois en culture populaire, l’ouvrage propose une réflexion érudite et fort pertinente sur la question superhéroïque contemporaine. Cynisme, états dépressifs, temps sombres, esthétique noire, surenchère de violence, les collaborateurs proposent d’arpenter les productions actuelles afin d’interroger leurs représentations crépusculaires du surhomme.
Depuis les années 1990, les héros sont « plus violents », « les méchants sont plus sadiques » et la mort est « représentée avec plus de crudité », bref, une « certaine sinistrose entache soudain les superhéros » (Jean-Marc Lainé, cité en pages 10 et 11). Le crépuscule des superhéros propose d’interroger les manifestations de cette dégradation généralisée. La modernisation des techniques de production, la maturation du lectorat et l’expansion de l’autoréflexivité auront contribué, entre autres, à la formation d’un imaginaire bien loin de celui de l’âge d’or des débuts du comic book, où régnaient les invincibles en toute innocence.
Avons-nous des récits « mélancoliques » ou « violents » à l’image d’une époque qui l’est tout autant, ainsi des modèles héroïques faillibles et imparfaits qui se sont adaptés à l’âge de l’agonie de l’idéal? Les névroses de Batman sont-elles donc l’écho de l’actualité, les rides d’une ère inquiète et pessimiste? C’est en examinant des productions d’Alan Moore à Mark Miller, en passant par Judge Dredd, que les auteurs constituent un état présent diversifié des phénomènes de déclin sur les plans de la forme et du contenu des œuvres.
Le recueil se clôt avec l’essai du doctorant Jean-Michel Berthiaume, qui interroge l’association de l’hyperviolence à une prétention de « faire plus adulte ». Malgré le portrait actuel peu rassurant, l’auteur signale une lumière au bout de la nuit en nous rappelant que le comic book superhéroïque est « inspirant » et « progressiste », et que « quand il tue, il enchaîne aussitôt avec une résurrection », car dans notre imaginaire « tout doit demeurer possible ». (p. 219) Comme le prescrit le dicton de Monica Hughes, on peut certainement conduire le lectorat à travers la pénombre, mais il ne faut surtout pas éteindre complètement la lumière.
À la fin de ce panorama aux teintes crépusculaires, des questions s’imposent : sommes-nous à l’aube de la résurrection des superhéros? Ou encore, sommes-nous au chapitre d’une nouvelle compréhension de l’héroïsme, de même que les sciences humaines et la philosophie en sont aujourd’hui à redéfinir la notion même d’être humain?
Non seulement pour l’observatoire des comics, mais aussi pour l’examen nécessaire de l’état de la culture populaire autour duquel s’articulent les collaborations, Le crépuscule des superhéros est un recueil à lire.
Collectif. Le crépuscule des superhéros. Éditions de Ta Mère, coll. Essais, 2016, 242 p.
Dirigé par Antonio Dominguez-Leiva et Gabriel Tremblay-Gaudette, ce titre rassemble des textes de (par ordre d’apparition) Nick Butch, Pierre-Paul Ferland, André-Philippe Lapointe, Antonio Dominguez-Leiva, Boris Nonveiller, Gabriel Tremblay-Gaudette, François D. Prud’homme et Jean-Michel Berthiaume.
Article par Fanie Demeule.