Voilà maintenant la deuxième année que le Festival du Nouveau Cinéma (FNC) propose une section mettant en vedette des œuvres explorant et mélangeant réalité virtuelle, interactivité, performance et technologie 360. S’il semble, à ce jour, que toutes les créations dites de « nouveaux médias » s’intéressent à offrir aux spectateurs une expérience sensorielle, une expérience à voir, mais surtout à vivre, certains projets, présentés dans le cadre de la présente édition du festival de Montréal, choquent en ce qu’ils cherchent à placer cette même expérience dans les registres de la terreur, de la douleur, de la souffrance. Plus que la vue d’une image choc qui nous est donnée à voir, plus que la force d’un drame qui nous est raconté, la réalité virtuelle propose ici de pénétrer de plein fouet dans l’horreur, la violence et la cruauté de la mort en arrachant le spectateur à sa réalité environnante et en le transformant volontairement en acteur principal de cette nouvelle « réalité ».
Fortement prisé du public, le court-métrage Oh Deer! de l’artiste suédois Peter Pontikis est présenté dans le cadre du Parcours grande place virtuelle, au Complexe Desjardins. D’une durée de quatre minutes, l’œuvre nous place dans la peau d’un chevreuil immobile se tenant debout dans la forêt, à quelques mètres de la route. Après un certain temps seuls dans cette étendue mystérieuse, nous voyons arriver une camionnette; trois hommes en sortent, carabine à la main. Doucement, ils approchent et ils tirent froidement en notre direction jusqu’à ce qu’ils nous abattent. Sans aucune image validant la forme de notre incarnation, nous finissons par principalement connaître notre statut de chevreuil grâce au synopsis accompagnant le film. Explicitant dans son entièreté l’unilatéralité de l’action, le synopsis finit par entrainer le spectateur dans cette « réalité » avec comme seule question: quand arrivera notre mort?
Voisin de Oh Deer! au Complexe Desjardins, Théâtre d’automne, des Québécois Myriam Coulombe et Mathieu Barrette, explore, lui aussi, l’expérience immersive dans le contexte horrifique d’un meurtre. C’est toutefois sous le statut du témoin, de l’observateur et du complice muet que cette expérience de la violence se produit. À travers les neuf minutes du court-métrage, le spectateur se voit catapulté avec étonnement entre différents lieux, différentes actions et différentes temporalités. L’œuvre se présente comme un récit dans le récit, ou plutôt comme un récit et son miroir: des acteurs sur scène répètent une pièce de théâtre qui, dans d’autres lieux et d’autres temps, prend « réellement » vie. L’approche du théâtre se trouve ainsi confrontée au réalisme des autres scènes qui puisent dans l’esthétique du cinéma et dans l’immersion sensorielle de la nouvelle technologie.
Ce sont deux œuvres davantage engagées, voire activistes, qui prennent place dans le Parcours au-delà de la réalité virtuelle, présenté à la Société des arts technologiques. Présenté entre autres au Sheffield DocFest, le court-métrage de treize minutes, Blindfold, réalisé par Navid Khonsari, Canadien d’origine iranienne, et son épouse Vassiliki Khonsari, Américaine d’origine grecque, s’intéresse à la violation des droits humains et à la liberté de presse en ancrant le spectateur dans la peau d’un journaliste étranger fait prisonnier de la plus notoire des prisons iraniennes. Avec une esthétique tirée des jeux vidéo, l’œuvre se déploie comme une petite pièce de théâtre dans laquelle la survie de notre collègue et de nous-mêmes dépend de notre aveu forcé. L’interrogateur, violent, accusateur et intimidant, nous pousse par tous les moyens à affirmer que nous avons bien commis le crime dont nous sommes accusés, c’est-à-dire avoir capté des images voulant dénoncer le gouvernement. C’est en hochant la tête de haut en bas ou de droite à gauche que nous prenons les décisions capitales et interagissons avec les autres personnages. À quelques mètres devant nos yeux, notre collègue se trouve froidement descendu d’une balle dans la tête si finalement nos réponses n’ont pas convenu à notre bourreau. L’après du récit s’ouvre sur une série de portraits de journalistes ayant subi des traitements similaires et offre à lire les horreurs que chacun a subi.
Deathtolls Experience, une œuvre de l’artiste iranien Ali Eslami, gagnant d’un prix d’excellence au Festival international du film documentaire d’Amsterdam (IDFA), propose de son côté une immersion horrifiante dans un univers créé de toute pièce et avant tout symbolique. Partant du constat qu’il est impossible pour l’être humain de comprendre et de ressentir l’amplitude des nombres et des statistiques qui sont associés à des massacres de masse, Eslami nous fait parcourir, à vol d’oiseau, différents lieux, à la fois réalistes et imaginaires, donnant à voir, à la place de l’abstraction des nombres, une série interminable de sacs blancs sur lesquels nous pouvons voir l’emprunte des cadavres. Le spectateur est alors entrainé, dans un mouvement incessant vers l’avant, vers de plus en plus de sacs, de plus en plus de morts. Et il ne peut s’en échapper que lorsque que l’horreur tente de s’apaiser par l’hommage, un hommage à la fois pénible et paisible où des dizaines de monuments, ou plutôt de mausolées, prennent forme dans l’image d’une nature idyllique.
Bien que certaines œuvres semblent mêler la réalité virtuelle à l’horreur et à la souffrance en cherchant avant tout à exciter la curiosité, à faire vivre une émotion rapide et factice de terreur devant la violence et la mort fantasmées, il reste que d’autres plus politiques s’aventurent volontairement dans les terrains tout aussi mouvants de l’appel à l’empathie, à la sensibilisation, à la mobilisation. Peu importe leurs motivations, il reste qu’elles ne dépendent finalement que d’une seule question : y croyons-nous? Parce que même si la « réalité » présentée est valable, puissante et horrifiante, il reste que nous sommes, nous spectateurs, toujours déjà conscients des artifices, des manipulations et des constructions. La réalité virtuelle donne à ce jour à vivre des expériences sensorielles intéressantes, rappelant souvent le type de sensations pouvant être vécues dans des parcs d’attractions. Encore jeune, elle reste intrigante aujourd’hui surtout en ce qu’elle dessine les préoccupations qui lui sont chères et qu’elle ouvre la porte à la manière dont celles-ci pourraient être, dans le futur proche, explorées et traitées. Trois des œuvres ici soulevées donnent à voir, à quelques mètres seulement, la représentation d’un meurtre et malgré notre connaissance de cette facticité, notre corps réagit à la technologie comme s’il était vraiment présent, comme si les sensations étaient les siennes. Des gens pleurent ou refusent l’expérience comme si c’était la leur[1]1. Plus les images seront réalistes, plus la technologie sera au point et plus nous y croirons. Serons-nous pourtant un jour capable d’y croire parfaitement? Pourrons-nous alors encore y faire voir, y faire vivre, un meurtre?
Le Festival du nouveau cinéma a eu lieux du 4 au 15 octobre 2017.
[1]1 Eslami cité dans Lanning, Kelsey. (2017, 9 janvier). The Horrors of Mass Death Are Visualized in This VR Experience. Creators – Vice UK, parag. 5. En ligne. < https://creators.vice.com/en_uk/article/78e5wq/ali-eslami-vr-mass-death-visualization>.
Article par Catherine Bergeron.