À la croisée d’un théâtre documentaire, d’une esthétique réaliste parsemée d’éléments symbolistes, il y a Warwick, la troisième pièce du dramaturge Jean-Philippe Baril Guérard (Ménageries). Montée par l’Escadron Création, une jeune compagnie principalement composée de finissants de la cohorte 2012 de l’École de théâtre du Cégep de St-Hyacinthe, cette pièce met en exergue les conséquences désastreuses de la guerre en Afghanistan sur les soldats canadiens. Plutôt que de s’attarder à une critique politique et éthique de ce conflit, on s’y concentre sur les répercussions psychologiques et sociales.
Afin d’humaniser le flot incessant de nouvelles qui nous proviennent du front, Baril Gérard développe l’histoire particulière du soldat Hubert (David Strasbourg), devenu paraplégique suite à l’explosion d’une bombe artisanale. De retour dans la petite bourgade de Warwick, près de Victoriaville, Hubert tente de reprendre le cours de sa vie. Traumatisé par les évènements survenus en Afghanistan et la mort tragique de certains de ses compatriotes, il peine à accepter sa nouvelle condition. Les quelques amis qu’il lui reste ne savent pas comment l’aider à passer au travers de cette période difficile, sans compter le peu de compréhension et de sollicitude dont ils font preuve. Cette bande de paumés que rien ne semble réellement rattacher (sinon la peur de la solitude) occupe la majeure partie de son temps à « être incapable de penser à autre chose pendant un match de hockey » et à se tracer quelques lignes de coke dans un bar de danseuses en attendant quelque chose comme le bonheur ou la mort. Parmi eux, un policier qui vend de la poudre (Benjamin Déziel), l’ex-petite amie d’Hubert qui danse « provisoirement » (Katrine Duhaime), un joueur de hockey qui ne se pose pas trop de questions (Sébastien Tessier) et un livreur de pizza plutôt simple d’esprit (Olivier Courtois). En parallèle, l’armée sous le couvert de l’altruisme, surveille le pauvre Hubert afin d’être bien certaine qu’il ne dévoile jamais au grand public ce qu’il s’est réellement passé le jour où il a perdu l’usage de ses deux jambes.
Pour avoir vu jouer plusieurs fois avec brio la majorité de ces comédiens, au cours de leurs études ou dans la websérie les Êtres-Anges, il m’est vite apparu que quelque chose clochait dans cette pièce. Peut-être que mes attentes étaient trop grandes après avoir vu cet été l’excellent Ménageries, précédent texte de Baril Guérard. Quoi qu’il en soit, Warwick n’est malheureusement pas touché par la même grâce et la même aisance. L’idée générale m’apparaissait pourtant intéressante, mais la façon dont elle a été exploitée, en texte comme sur scène, m’a paru plutôt fade. On ne rit plus de ces répliques si savoureuses, l’enchaînement des évènements s’avère à plusieurs moments maladroit. Sans creuser dans le terreau fertile que constitue ce sujet, Warwick reste en surface, là où on l’attend. On entrevoit certes par moment quelques éclairs de génie dans la mise en scène, dans les décors ou l’interprétation, mais l’ensemble reste à l’état d’ébauche, n’atteignant pas la cohérence.
La mise en scène de Michel-Maxime Legault peine à trouver son rythme, basculant fréquemment dans un désordre cacophonique fort déplaisant. Puis, on se rend compte de l’une des erreurs principales. Il y a bien trop de comédiens sur scène! Le temps qui leur est alloué ne suffit pas à définir adéquatement leurs personnages respectifs. Certains rôles sont si petits qu’ils s’apparentent plus à de la figuration qu’à autre chose et auraient aisément pu être supprimés afin de faire respirer le texte et l’espace scénique. Peut-être qu’alors, les personnages principaux auraient pu se révéler dans toute leur ampleur et quitter le stéréotype. Si certains éléments de décor (des bottes de soldats suspendues depuis les cintres) apparaissent comme de bonnes idées servant le propos, d’autres sentent le symbolisme bas de gamme à plein nez. Pensons au cercle de verre cassé qui entoure la chaise roulante d’Hubert afin de bien nous exprimer à quel point il est « brisé ».
Alors que certains des comédiens (Benjamin Déziel, Rémy Ouellet, Marion Van Bogaert Nolasco et David Strasbourg) rehaussent périodiquement la qualité de l’interprétation, la majorité ne paraît pas centrée, imprécise dans ses mouvements. En improvisation, il aurait fallu siffler à plusieurs reprises pour cabotinage. On perd le texte par instants, la voix n’est pas posée ou la diction est imparfaite. Pointilleux? Peut-être, mais le diable est dans les détails. Parlant de détails, ne vous assoyiez pas à l’avant sur les côtés, car vous risquez de vous retrouver avec la lumière d’un projecteur latéral dans les yeux à plusieurs moments, ce qui est des plus déplaisant.
Malgré tout cela, Warwick aborde des thèmes intéressants qui méritaient d’être traités sur une scène. Saluons l’initiative et ne nous attardons pas trop à cet épisode puisque l’on connaît déjà le talent de cette cohorte, ainsi que de Jean-Philippe Baril Guérard. En attendant le prochain bon coup, écoutez donc un peu les Êtres-Anges, vous verrez ce dont ils sont capables.
- *
Warwick de Jean-Philippe Baril Guérard du 30 janvier au 16 février, Théâtre Denise-Pelletier, salle Fred-Barry. M.E.S. de Michel-Maxime Legault.