La Electronic Literature Organization tient l’édition 2018 de son congrès au centre-ville de Montréal. Plus qu’un colloque, l’événement appelle les participants et participantes à explorer la littérature électronique issue d’une diversité de contextes et de cultures. Nous vous proposons un aperçu des conférences, des soirées de performances artistiques et de l’exposition.
Jusqu’au vendredi 17 août, plusieurs lieux montréalais recevront le congrès international «Attention à la marche!» («Mind the Gap!», en anglais). Pour son édition 2018, la Electronic Literature Organization (ELO) sera accueillie, entre autres, dans les locaux de l’UQAM, où prendront place diverses conférences. L’événement bilingue se déploie en trois volets : au congrès s’ajoutent une exposition au Centre de design de l’UQAM ainsi qu’une programmation de performances dans quelques lieux culturels de la ville. C’est pour traiter des enjeux actuels de la littérature numérique que se rassemblent plus de 300 acteurs et actrices du milieu, dont des artistes, chercheurs et chercheuses. Si la production d’une littérature numérique n’est plus émergente à proprement parler, maintenant qu’elle occupe une place décisive dans notre société tout comme au sein des départements d’études littéraires et de communication, les enjeux auxquels elle est confrontée sont en constant changement. L’événement «Attention à la marche!» entend couvrir la question sous plusieurs angles : il s’agit de réfléchir à la littérature numérique à la fois par l’exploration et par l’intervention.
D’entrée de jeu, les conférences présentées à l’UQAM invitent à l’exploration des thèmes liés à la littérature numérique. Ce premier volet se penche sur la littérature en tant qu’objet de recherche, certes, mais d’abord dans ses différentes manifestations publiques et ses contacts avec le lectorat. Elle est envisagée en ce qu’elle modifie, voire perturbe, le paysage littéraire. Les conférences se regroupent parfois en des pistes communes, portées par des intuitions semblables. C’est ce qui aura justifié que certains panels se répartissent en segments tout au long de la semaine. Par exemple, les titres suivants comportent des parties I, II et III : «Lire et comprendre la littérature électronique», «E-Lit Linguistic and Cultural Specificities», «Narrative Palindromes» ou «Arts et littératures numériques : clés pour un portrait différencié». Après la journée de lundi, qui visait à lancer le congrès avec une série d’ateliers, la programmation des panels et des conférences d’honneur promet la poursuite des réflexions sous un angle théorique et actuel.
Depuis mardi, des soirées de performances ont lieu à l’Écomusée du fier monde, à l’Eastern Bloc et à la salle Black Box de l’Université Concordia. Par l’intervention dans un lieu, les artistes portent le projet de souligner les interactions entre le monde urbain et la littérature électronique jusque dans ses formes les plus minimales. Alors que les chercheurs et chercheuses s’intéressent à la littérature numérique pour en saisir le décalage ou l’impact sur les conventions et les théories esthétiques, les performances ont plutôt pour objet la façon dont la pratique de la littérature électronique se perpétue, à savoir comment s’opère la négociation entre les moyens technologiques, les lieux de création et de diffusion et les institutions.
En dernière instance, une exposition au Centre de design de l’UQAM regroupe cinquante-six œuvres et plus de soixante artistes sous le même nom «Attention à la marche!» Parallèlement au congrès et aux performances, le travail artistique exposé se présente comme un écho aux réflexions mises en branle tout au long de l’événement. Ils incarnent les objets de recherche, en quelque sorte, et engagent les spectateurs et spectatrices tout comme le chercheur qui interroge une œuvre. C’est dire que l’exposition prolonge les conférences, tend le relai au public qui peut à son tour manipuler les œuvres et y réagir. La variété des médiums présents dans l’exposition constitue autant de manières de questionner l’inscription de la littérature au sein des arts numériques. Les œuvres de réalité virtuelle de Lucas Baisch, Mez Breeze, Andy Campbell, Qianxun Chen, Tony Vieira et Theodora Walsh projettent les participants et participantes dans un environnement où le texte est mis à l’honneur. Thanner Khuai – The Water Cave d’Andy Campbell, avec la collaboration de Shanmuga Priya et Alex Rushfirth, invite à explorer des rochers caverneux, au-dessus des eaux, en suivant le texte d’un poème qui défile sur un ruban, qui plonge, refait surface et se déroule librement dans l’espace. Le texte sert alors de prétexte à l’exploration d’un monde où seuls l’eau, la roche et les mots cohabitent. Dans Perpetual Nomads, de l’artiste Mez Breeze, c’est plutôt la narrativité qui prime, dans un cadre qui, rappelant les Histoires dont vous êtes le héros, côtoie à la fois le jeu vidéo et la bande dessinée. Dans des décors divers, qui se dressent et disparaissent en quelques secondes, on nous invite à entrer en interaction avec l’environnement virtuel. Sans autre personnage que celui ou celle qui porte le casque de réalité virtuelle, on chemine à travers des tableaux, on observe les objets posés près de soi et on tente de suivre les indices qui peuvent aider à avancer. Sans réinventer du tout au tout le jeu vidéo, l’artiste propose un retour à l’un de ses fondements : il s’agit de construire un récit, de revisiter le concept de narration.
D’autres œuvres exposées intègrent quant à elles des textes littéraires classiques, telle celle de Nick Monfort, Michael Martin et Patsy Baudoin, intitulée Nanawatt. L’installation, conçue en 2013 et révisée en 2018, imite le processus créatif de l’écriture du roman Watt de Beckett. L’œuvre de Monfort, Martin et Baudoin présente l’écran d’un ordinateur où un principe de répétition et de modification génère des extraits du texte de 1953. L’ordinateur revêt alors les rôles simultanés de support et de composante de l’œuvre, au contraire de certaines pièces de l’exposition qui, côte à côte, forment une exposition virtuelle. Dans ces cas, l’ordinateur est accessoire, il devient simple porte d’entrée vers un fichier qui, une fois ouvert, révèle son intérêt et son contenu littéraire. Quoi qu’il en soit, l’exposition au Centre de design de l’UQAM invoque la littérature de plus d’une manière, tantôt par des extraits de textes classiques, tantôt utilisant les technologies pour générer des vers inédits (on peut penser à Project +49 157 362 961 96 de Marcelina Wellmer, qui retrace sur une feuille, à l’aide d’un stylo tenu par des bandes élastiques, les SMS reçus au numéro de téléphone fourni). Même en étant reliées par le fil parfois ténu de la littérature, les œuvres offrent un aperçu de la riche production artistique autour de la thématique. Plutôt que d’épuiser une question, de s’attacher à un point pour le scruter sous toutes ses perspectives, l’exposition au Centre de design parcourt la multiplicité des avenues empruntées jusqu’à présent. Sans prétendre faire le tour de la question, c’est plutôt un état de lieux que l’on nous propose, une observation panoramique qui révélera peut-être certains angles morts. Aussi «Attention à la marche!» souhaite-t-il d’abord poser les bonnes questions et les bons enjeux, prendre la mesure de la marche avant de s’avancer vers elle.
L’événement «Attention à la marche! – Mind the Gap!» se termine vendredi le 17 août. L’exposition au Centre de design et les soirées de performances sont ouvertes au public. Les conférences à l’UQAM sont accessibles sous réservation. La programmation complète se trouve sur le site de l’événement.
Article par Élisabeth Chevalier.