Christian Lapointe avait présenté, avec sa compagnie Théâtre Péril, une pièce au Théâtre Prospero en 2006. Il était temps pour lui d’y revenir. En une conversation avec l’ancien directeur artistique, le tour était joué. Il a fallu par la suite s’attaquer au plus grand défi. Quoi monter? Après lecture de plusieurs textes, le metteur en scène et Carmen Joli, directrice actuelle du Prospero, se sont arrêtés sur les textes d’Ivan Viripaev.
Pour Christian Lapointe, Viripaev représente un des auteurs stimulants de sa génération. «Chacune de ses pièces est une tentative de trouver un langage dramaturgique qui soit propre à chaque objet que l’auteur crée», a expliqué le metteur en scène. Il faut dire que le symbolisme présent dans l’œuvre de l’auteur russe et le message «in your face» sont des éléments clés du travail de Christian Lapointe.
«The medium is the message.» Tel est le constat d’Oxygène. La pièce, bâtie en dix chansons, a recours à des mécanismes symbolistes, sans que l’on s’en rende compte. «L’adresse directe cache le symbolisme qui travaille notre inconscient», affirme le metteur en scène. Oxygène aborde beaucoup de son contenu à travers une certaine forme ludique. Selon Christian Lapointe, il s’agit d’une quête d’absolu, d’une quête de sens.
Ce qui a attiré le metteur en scène à choisir Oxygène, c’est que la pièce s’approche de la forme du conte. Le jeu fait en sorte que les acteurs deviennent ceux dont ils parlent à mesure que s’écrit l’histoire. L’artiste québécois y voit là un clivage plutôt intéressant entre ceux qui parlent et ceux dont on parle. «Le fait de laisser l’action se dérouler en Russie renforce d’ailleurs cette thèse-là, a-t-il lancé. La Russie est un pays peuplé d’autant de cultures que le Canada. Ça nous rejoint.»
Christian Lapointe, en tant qu’invité, revient par la grande porte du Théâtre Prospero; lui qui produit ses propres spectacles depuis 12-13 ans. «On m’a invité pour ce que j’étais. Je suis libéré de toute la tâche de production, cela laisse toute la place à la créativité», affirme-t-il. Il ajoute que cela lui permet de prendre des libertés qu’il n’aurait peut-être pas prises en tant que producteur. «Tu te poses moins les questions de rentabilité et de ce fait, tu prends plus de liberté et au final, il y a probablement plus de gens dans la salle», ajoute-t-il.
Malgré toute la latitude que le metteur s’est offerte, allant jusqu’à déconstruire la salle, il n’en demeure pas moins que la pièce de Viripaev est difficile à monter pour les interprètes. En partie parce que Christian Lapointe a travaillé à l’élaboration d’un rendu singulier. «Je ne suis pas intéressé par la circulation de plateau. Une mise en scène s’élabore à partir d’un langage unique. Ici le langage unique s’élabore à partir d’une gestuelle codée», précise-t-il. Dans le cas présent, ce qui est difficile c’est «d’empiler les couches». Il faut commencer par la musique, puis y ajouter les chansons et les gestes, tout en gardant en tête le rapport à la salle.
Le théâtre québécois en retard sur son temps
Oxygène, en tant que création québécoise, est présentée pour la première fois. Une version belge avait été présentée en sol montréalais lors du FTA 2008, mais depuis l’écriture de la pièce, il aura fallu attendre dix ans pour la voir prendre vie dans notre dramaturgie. Christian Lapointe explique cela par le fait que le milieu a cessé de pousser le spectateur.
Autrefois, les Québécois allaient au théâtre pour voir les tournées américaines et françaises. Au cours des années 1950, le théâtre québécois a vécu son éclosion avec les premiers auteurs dramatiques (Gratien Gélinas, Marcel Dubé). Puis, est venue la création collective. Le public a été amené, guidé à travers ces changements. Faisant suite à ce mouvement, il y a eu l’avènement des créateurs et des metteurs en scène (Lepage, Marleau, Haentjens). «On a amené le public là-dedans et on s’est arrêté là.» C’est donc dire qu’au Québec, le théâtre s’est privé de tout ce qui a émergé depuis la fin des années 1990 en Europe, soit le théâtre postdramatique. «On a pensé que le public ne pouvait pas suivre», a expliqué le metteur en scène. «On accuse un retard théâtral sur la forme parce qu’à un moment, il y a 10, 20, 30 ans, on a pensé que le public ne pourrait pas suivre. À mon avis, c’est mépriser le public.» À force d’être soumises à l’économie de marché, les salles ont eu peur. Aujourd’hui les salles se vident parce que les générations ne suivent pas. Christian Lapointe, en guise d’avertissement et d’appel, conclut: «Il faut rappeler à la jeunesse que le théâtre est une forme d’art stimulante».
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Oxygène d’Ivan Viripaev, présenté au Théâtre Prospero du 19 novembre au 14 décembre 2013. M.E.S. Christian Lapointe.
Lisez également la critique de la pièce, par Marie-Michelle Borduas.
Article par Marie-Michelle Borduas. Animatrice et chroniqueuse radio, amoureuse de théâtre et consommatrice avertie de musique! Je partage mon temps entre tous les théâtres et les salles de spectacles montréalais. 1001 projets parce que la tête bouillonne. Oh et j’ai aussi ce petit papier qui indique: bachelière en journalisme.