L’équipe de Radical est composée de Jérémie Brassard, Sophia Graziani, Antonin Gougeon, Andréanne Daigle et Gabrielle Poulin. Leur travail sera présenté du 28 au 30 septembre prochain au Théâtre Aux Écuries dans le cadre de l’événement Vous êtes ici produit par LA SERRE — arts vivants.
Artichaut Magazine: Qui êtes-vous?
Jérémie Brassard: Je suis Jérémie Brassard, instigateur du projet Radical et j’ai réuni Sophia Graziani, Antonin Gougeon, Andréanne Daigle et Gabrielle Poulin autour de ma création rassemblant théâtre, mouvement et son.
AM: Qu’est-ce que vous proposez à Vous êtes ici?
JB: Dans le cadre de Vous êtes ici, j’avais envie de me questionner sur les motifs de la radicalisation, d’essayer de mieux comprendre qu’est-ce qui pourrait pousser l’Homme à commettre un acte irréparable. C’est par le biais d’une fiction que j’ai voulu transposer cette problématique sur scène en mixant le théâtre et le mouvement. Au début du processus, j’étais censé écrire mon propre texte pour cette résidence, mais après plusieurs recherches à travers différents textes scientifiques et dramatiques, j’ai plutôt décidé de diriger mon propos autour du besoin de vengeance, de la révolte humaine. C’est en tombant sur Le 20 novembre de Lars Norén que tout s’est éclairé. Le texte possédait déjà tous les mots que j’aurais aimé être capable d’écrire. J’ai donc décidé de choisir ce texte et d’en faire une adaptation libre de dix minutes.
C’est alors que j’ai décidé de m’affilier à Sophia pour répondre à titre de dramaturge scénique qui souhaite entraîner le spectateur à se positionner face au spectacle où l’objet, l’homme et la politique se rencontrent. Également, connaissant son expertise dans la conception sonore, nous avons décidé d’inclure Antonin, qui concentrera sa recherche entre l’appui direct aux artistes sur scène et la tentative de dérangement du public. Dans notre projet, le son agira comme outil de frottement entre la réalité de la salle et la fiction de la proposition.
Accompagné par mes deux complices et amies, Andréanne qui m’assistera à la mise en scène et Gabrielle qui partagera la scène avec moi comme interprète et double de l’homme. Sa partition sera surtout axée sur le mouvement.
AM: Qu’est-ce que tu vous dites/faites/vivez avec/dans votre proposition?
JB: J’essaie surtout de comprendre avec ma proposition. Comprendre le petit déclic qui pourrait se faire dans la tête d’un homme et qui le pousserait à commettre un acte radical. Comprendre ses motivations à agir. Comprendre cette détresse constante qu’il doit ressentir. Tel un spécialiste, j’ai envie de me mettre dans la peau de cet individu qui vit un profond rejet face à la société dans laquelle il évolue. Nous avons tous nos bêtes noires, nos chevaux de batailles qui, parfois, nous portent à nous insurger contre notre société. Il nous est tous déjà arrivé de vivre des pulsions de mort, de vouloir du mal à quelqu’un ou à un groupe ou de vouloir tout saccager autour de nous. Toutefois, ces pulsions restent tournées vers l’intérieur et s’effacent avec le temps. Toute personne dites «normale» n’oserait jamais aller au bout de ses pulsions dû à notre éducation sociétale qui nous dicte ce qui est bien de ce qui est mal. Nous nous devons de suivre la masse et de respecter les règles que l’état nous impose sinon nous risquons de graves sanctions selon le degré de nos actes. Dans Le 20 novembre, l’homme arrive à un point où l’unique solution à son mal-être est de se venger de ceux qui l’ont atteint. La seule lumière qu’on peut percevoir, c’est ce sentiment de lucidité que l’homme semble vivre à travers son discours : il dit comprendre le fonctionnement de la société, il questionne la masse et il propose même aux spectateurs de se lever et d’agir. Pour moi, ce texte est une invitation à l’introspection.
À la base, l’idée de parler de la radicalisation m’est venue du sentiment d’impuissance et d’incertitude face à la série attentats qui jaillissent de nos nouvelles dans les dernières années. Depuis l’attentat au Bataclan de 2015 qui, pour diverses raisons, m’a profondément chamboulé, je ne cesse de me faire toutes sortes de scénarios catastrophiques quand j’entre dans un endroit public. Je marche dans la rue et je m’imagine une voiture bélier me foncer dessus. J’entre dans le métro et je me réjouis d’arriver à chaque nouvelle station. Que se soit par le biais d’une voiture piégée, d’explosifs, d’une arme blanche ou d’armes à feux, tous ces actes ont été revendiqués par des individus comme nous, qui vivent dans une société dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. Dans notre proposition, nous cherchons à essayer de recréer cette incertitude chez le spectateur en utilisant le son comme outil d’oppression. En connivence avec la lecture scénique de Sophia, nous invitons le public à venir assister à notre création, qui s’apparentera à une exposition muséale.
AM: La courte forme pour vous, c’est contraignant/stimulant/aucun changement?
JB: Je trouve cela extrêmement contraignant pour un texte qui dure, à l’origine, une heure et demie. Par contre, cette courte forme nous porte à nous questionner différemment sur notre proposition. Dans un souci d’osmose des différents éléments scéniques, nous voulons nous concentrer sur chaque seconde de la présentation pour offrir une expérience complète au spectateur.
AM: Comment on se sent en tant que jeune diplômé-e en arts vivants?
JB: Impuissant, un peu comme l’homme face à la société. La sortie de l’école ressemble toujours à un saut dans le vide, mais sans parachute. Nous avons tous été gavés de projets des plus enrichissants durant notre formation sans prendre le temps de s’éloigner de notre situation et de faire le point. Ce pourquoi je trouve ça encore plus enrichissant de me réunir avec toutes ces personnes dont j’apprécie et estime le travail, et ce dans un autre contexte que l’École. Ensemble, nous tentons de modifier une matière qui nous intéresse sans contraintes ni encadrement pédagogique. Nous créons notre propre éthique, nous développons nos propres méthodes.
AM: Ce que vous souhaitez aux diplômé(e)s qui suivront?
JB: Je leur souhaite de ne pas avoir peur de foncer. Vous avez enfin le temps de vous poser, de vous instruire sur les sujets qui vous touchent, de réfléchir et d’agir. N’attendez pas les offres ou les appels, créez vos contrats, jouez autant que vous le pouvez.
AM: Une parole sage pour la route?
« Toute bonne idée poussée à l’extrême devient absurde. »
Vous êtes ici, une initiative de création par LA SERRE – arts vivants, sera présentée du 28 au 30 septembre 2017 au Théâtre Aux Écuries.