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17-04-2025 Vol 19

Festival 100Lux. Réfléchir et partager la danse urbaine

Pour sa 5e édition, le festival 100Lux a décidé de commencer par une conférence sur la création en danses urbaines à travers les générations. Cet atelier réflexif a eu lieu dans un nouvel emplacement récemment inauguré, l’Espace Sans Luxe.

Pour l’occasion, les organisateurs ont transformé leur espace de danse et de création en un espace chaleureux et cosy où chaises, bougies, chips et coussins accueillaient les invités qui pouvaient s’offrir bière et vin pour pas cher. Une fois les intéressés et les panélistes installés, la conférence animée par l’humoriste Preach Ddimplz Jack a pu commencer. Pour répondre aux questions de Ddimplz et à celles du public, l’équipe du festival 100Lux avait convié cinq invités de qualité.

Victor Quijada

On pouvait d’abord y voir Victor Quijada, créateur et directeur artistique de la compagnie Rubberbandance. À travers sa compagnie, Quijada cherche à réconcilier deux univers qui lui sont chers : le hip-hop de la côte Ouest des États-Unis, dans lequel il a baigné depuis tout petit, et les techniques du ballet et de la danse contemporaine, milieux où il a évolué en tant que danseur professionnel. C’est avec cette nouvelle esthétique que Quijada a monté une vingtaine de pièces et a aiguisé sa recherche du mouvement. Dans ses créations basées sur l’expérience personnelle, il traite principalement des relations humaines avec un intérêt particulier pour l’obsession, la brutalité, mais aussi pour la délicatesse, afin de mener les spectateurs du tragique au comique.

GROUPE RUBBERBANDANCE Crédit photographique: Bill Hebert

Quijada endosse aussi le rôle de formateur à travers la méthode Rubberbandance. Avec elle, il cherche à déceler le potentiel d’un interprète et travaille à faire ressortir son talent unique. Il développe et promeut l’hybridité de la danse urbaine et contemporaine, tant dans le mouvement que dans l’interprétation, et cherche à créer un nouveau genre qui sera, d’après lui, celui de demain. Quijada considère la danse de rue comme modulable à deux univers : les cyphers ou les battles, et la scène. Il s’agit seulement de deux contextes différents dans lesquels il existe des outils distincts qu’il faut savoir manier à bon escient.

Alexandra « Spicey » Landé

La deuxième panéliste, Alexandra « Spicey » Landé, est chorégraphe en danse hip-hop depuis plus de dix ans. Introduite dans le milieu durant un moment d’effervescence, soit un peu après les pionniers du hip-hop à Montréal, et avant le développement de la nouvelle génération, elle arrivera peu à peu à se frayer un chemin. Après une première création chaudement reçue par le public montréalais, Spicey inspire aujourd’hui d’autres chorégraphes de rue.

Elle poursuit son chemin en participant au festival Vue sur la Relève en 2008, présente une deuxième création en 2009, travaille comme coach de danses urbaines pour le Cirque du Soleil, puis pour la télévision et pour une compétition internationale de danse Eurovision Young Dancer. Au sein de sa nouvelle compagnie EBNFLOH et après quelques années de recherche et de réflexion, Spicey décide d’entamer une nouvelle création, Complexe R, qui évoque les obsessions humaines. Elle développe alors sa vision à travers un langage chorégraphique singulier, entourée de complices et de pairs, qui explorent avec elle le processus créatif. Pour elle, la scène est un véritable exutoire où elle cherche à transmettre des moments vécus, en s’inspirant des danseurs qu’elle admire.

Crédit photographique: Melika Dez

Sa démarche artistique consiste à donner une plus grande visibilité aux danses de rue à Montréal et de toujours favoriser l’entraide, valeur essentielle de la culture hip-hop. Elle a ainsi fondé le festival Bust a Move qui se déroule chaque année à la TOHU et qui attire 2500 adeptes de 16 à 40 ans. Aussi interprète et professeure de danse hip-hop dans des écoles réputées au Québec, Alexandra « Spicey » Landé demeure une des chorégraphes les plus respectées au Canada et est reconnue comme étant une spécialiste dans son domaine.

Ismaël Mouaraki

Ismaël Mouaraki, fondateur de la compagnie Destins Croisés, était le troisième panéliste. Arrivé de France en 1997 et considéré comme l’un des pionniers à avoir présenté du hip-hop sur scène, il entreprend depuis une démarche de démystification de celui-ci. À travers sa compagnie, ce chorégraphe et danseur franco-canado-marocain rassemble cultures urbaines et arts de la scène contemporaine. Ses œuvres questionnent la société et soulèvent différents enjeux culturels et sociaux, mais abordent aussi l’identité et l’altérité, qui sont des thèmes récurrents dans ses créations. Au sein de sa compagnie, il privilégie l’individu et son bagage culturel, social ou artistique. L’artiste crée de mille manières, mais incarne toujours en corps les infinies facettes de l’humanité. Il utilise souvent la résistance, qu’il considère comme matière créatrice. Il compte plusieurs pièces à son actif dont Loops (2004-2005), Slam en/corps (2009), RefleXction (2010) et la plus récente Lien(s) (2016). Le chorégraphe articule ses créations autour des notions de polarité, de contrôle et de la perception de l’individu dans le groupe. Pour lui, la culture hip-hop à Montréal a su se faire une place. Il est maintenant question pour la nouvelle génération de poursuivre cette avancée et de développer ses multiples potentialités en se nourrissant d’autres milieux et en conservant une attitude professionnelle.

Helen Simard

C’est en déménageant à Montréal en 1996 qu’Helen Simard découvre sa passion pour le break et la danse contemporaine. Pour elle, le break s’apparente à la physicalité et la musicalité du ballet, qu’elle pratique déjà depuis longtemps. Après un baccalauréat en danse contemporaine à l’UQAM, elle monte un crew de b-girl avec qui elle participe à de nombreux battles tels que les Pro-Ams à Miami, le Rocksteady Crew Anniversary à New York ou le B-boy Summit à Los Angeles. En 2000, elle cofonde Solid State, un collectif entièrement féminin qui crée des œuvres scéniques, alliant danse contemporaine et danse de rue. Elle deviendra ensuite codirectrice artistique, chorégraphe et interprète pour ce collectif et participera à la création de neuf pièces, présentées à travers le Québec, le Canada et l’Europe.

Crédit photographique: Nikol Mikus

Désormais, elle collabore en tant que répétitrice avec des chorégraphes urbains comme Emmanuelle LePhan et Elon Hoglund (Tentacle Tribe), Greg Seliger ou encore Victoria Mackenzie, tout en continuant à créer ses propres pièces à l’esthétique davantage contemporaine. Inspirée en premier lieu par la musique, Helen Simard cherche à mettre les mouvements issus d’une improvisation sur scène. Ayant plusieurs publications sur la danse de rue à son actif, Simard est titulaire d’une maitrise au département de danse de l’UQAM (2014) intitulée Breaking down the differences between breakdancing and b-boying: a grounded theory approach et poursuit actuellement ses recherches sur les b-girls au Doctorat en études et pratiques des arts à l’UQAM. Par ses recherches, elle souhaite défendre la culture hip-hop, l’amener plus loin qu’une culture de simple « entertainment » et favoriser un langage commun, qui, parfois, manque dans le milieu urbain.

Irvin « Dazl » St-Louis

Danseur et chorégraphe de renom de par son expérience sur scène, en création et en tant qu’enseignant, Irvin « Dazl » St-Louis est une des figures les plus influentes dans la communauté de la danse urbaine à Montréal. Sa passion pour la danse l’a amené à explorer différents univers comme la capoeira, le jazz, le ballet classique et le théâtre, lui donnant ainsi son style et sa technique uniques. Attiré par le house, le breakdance et le fitness, il est fondateur de divers groupes comme Flow Rock (1993), Jack-O-Lution (2005) et Regiment PFSEM (2010). Dazl cherche à partager bien-être et savoirs avec ses pairs afin de converger vers une liberté d’expression artistique commune.

Formé avec des grands noms tels que Tony McGregor, Shannon « Which-A-Way », Sha et Sekou Heru, Dance Fusion, il se tourne plus récemment vers la danse et le fitness et crée le chapitre montréalais du Canadian Bartendaz qui combine conditionnement physique avec mouvements du corps proches du hip-hop.

Crédit photographique: Michael Cardillo

Dazl a travaillé pour le Cirque du Soleil, a dansé pour le Festival de Jazz et les Francofolies, au Club Soda, au Vieux-Port, à la Place des Arts, au Kennedy Center (DC), au Black Theater Workshop et a aussi créé avec des artistes comme NAS, Femi Kuti et KRS-One. Inspiré par les évènements quotidiens, Dazl définit lui-même son travail comme tiré de la réalité : « Il ne faut pas représenter, il faut être ». Il soulève aussi les problèmes de nomenclature de la danse urbaine et de tous les préjugés qui y sont associés. Ainsi, pour lui, « street dance » ou « danses de rue » renvoie à un aspect qu’il a toujours voulu fuir, la rue. Il se questionne alors beaucoup sur la façon de nommer ce qu’il s’y passe et conclut finalement avec simplicité par le terme « danse » : « On danse, c’est tout ! » C’est son travail acharné qui lui offre un background riche, et c’est un héritage notable pour Montréal ainsi que pour tout le Canada.

La volonté d’un tel rassemblement était de créer un pont entre l’ancienne et la nouvelle générations en danses urbaines, au vu de l’évolution rapide de ces dernières. C’est le partage de l’expérience des pionniers qui permet aux nouveaux d’avancer. Ainsi donc, le public a pu assister à de longues discussions concernant les éléments en jeu dans un processus de création, les difficultés et les enjeux de la diffusion actuelle à Montréal, la préservation de l’identité des danses urbaines, les relations entre les chorégraphes et les danseurs urbains (pour la plupart autodidactes) et enfin la professionnalisation du danseur urbain.

Soucieux d’instruire la future génération, les artistes invités ont su rassurer le public sur les possibilités de diffusion et sur l’élargissement de l’influence de la discipline. La clé est d’apprendre à demander de l’aide, mais surtout de continuer de se perfectionner de façon individuelle. Ils ont tous soulevé l’importance du partage et du respect, ainsi que la possibilité de faire différents choix, à savoir s’épanouir en freestyle ou bien de décider de s’attaquer à la masse administrative pour pouvoir passer sur les scènes officielles. Malgré leurs parcours et leurs avis différents, les intervenants ont dressé un vaste portrait de la scène urbaine actuelle à Montréal et ont permis une véritable prise de conscience des enjeux présents et futurs, ainsi que du rôle que la nouvelle génération va pouvoir tenir. Le partage et l’optimisme étaient donc au rendez-vous pour un festival qui affichait déjà sold-out pour nombre de ses représentations.

La conférence Pensons-y de l’organisme 100Lux a eu lieu le 13 février 2017 à l’Espace Sans Luxe.

Article par Léa Villalba.

Artichaut magazine

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