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17-04-2025 Vol 19

Festival Fantasia 2018. Critiques de Julien Bouthillier, partie 3

Voici la troisième et dernière partie de la couverture du Festival Fantasia par Julien Bouthillier. Pour cette dernière vague de critiques, il s’est attardé aux films et projections suivante:

–Les Fantastiques Week-ends du Cinéma Québécois. Survol de la programmation

–Lords of Chaos. Jonas Åkerlund

Mandy. Panos Costamos

The Witch in the Window. Andy Mitton

Montreal Dead End. Collectif

–Searching. Aneesh Chaganty

Les Fantastiques Week-ends du Cinéma Québécois – Survol de la programmation

Tradition du festival, les Fantastiques Week-ends du Cinéma Québécois sont une occasion de rencontrer la relève du cinéma de genre au Québec, avec des projections de court-métrages organisées selon diverses catégories. Survol rapide d’une programmation haute en couleur.

Dans le programme « Monstres et autres Horreurs », on a noté l’intrigant Culs-de-sac de Maxime S. Girard, court-métrage prenant les allures d’une légende urbaine racontée autour d’un feu de camp. On y retrouve Manu (Félix Emmanuel), jeune homme maladroit tentant de raviver une flamme inexistante avec son amie Delphine (Zoé Lajeunesse-Guy) en allant camper dans une forêt reculée. Des phénomènes aussi inquiétants qu’inexplicables viennent cependant compliquer les choses – quelqu’un ou quelque chose semble traquer Manu et Delphine… Le film ménage intelligemment ses effets (entre comique et horrifique) et compte sur une interprétation solide, particulièrement Zoé Lajeunesse-Guy, judicieusement choisie pour le rôle de Delphine.

Culs-de-sac – Maxime S. Girard (Source : Festival Fantasia)

Dans le même programme, Fire de Roman Urodovskikh, film d’animation noir et blanc grésillant et apocalyptique, a pu compter sur un travail du son et de la musique (Gnaw et Alain Dubin, respectivement) des plus prenant, créant une atmosphère hypnotique des plus réussies. Quant à l’ambitieux récit apocalyptique Sommeil de cendre (Frédérick Neegan Trudel), s’il souffre du manque de moyen et de temps propre à sa forme, parvient malgré tout à offrir un aperçu tantôt intrigant, tantôt angoissant d’une société au bord de l’effondrement – l’inclusion d’un animateur radio partisan des théories du complot se révèle un bon flash. Finalement, film de clôture du programme « Monstre et autre Horreurs », Beurre Noir de Jimmy P. Pettigrew est un exercice de style aussi amusant que décalé, porté par Jean-Gabriel Normann parfait dans le rôle d’un petit brocanteur sans envergure coincé dans un triangle amoureux des plus toxique, le tout dans un univers glauque et poisseux évoquant les films de Jeunet et Caro.

Présenté en ouverture de la comédie romantique coréenne What a Man Wants, le court-métrage québécois Poisson de Mars (Simon Lamarre-Ledoux et Pierre-Marc Drouin), qui avait déjà fait rugir de rire le public du festival Regards, est un des grands court-métrage comique de l’année. Partant d’une prémisse d’une simplicité désarmante (un célibataire déprimé apprend que sa détestable famille souhaite lui faire un poisson d’avril aussi bête que gratuit… en mars!), le film construit en quelques minutes une farce complètement loufoque, portée par des répliques destinées à devenir culte (« Je suis pas là pour te parler de roches … C’est ce qu’on appelle un ‶ subterfuge! ‶ ») et une distribution de haut calibre, particulièrement Simon Lacroix dans le rôle d’un étudiant en psychologie verbomoteur et Alexandre Goyette dans le rôle du grand frère douchebag.

Poisson de Mars – Simon Lamarre-Ledoux et Pierre-Marc Drouin (Source : IMDb)

Également présenté à Regard, L’appartement (Justine Gauthier), basé sur une nouvelle de Frédéric Wolfe, évoque avec sensibilité les espoirs et déceptions d’une mère monoparentale accueillant ses deux enfants dans son nouvel appartement, le temps d’un week-end. Monia Chokri incarne son personnage avec un naturel impressionnant, tout comme Raphaël Bergeron-Lapointe et Shanti Corbeil-Gauvreau dans le rôle des deux enfants.

Finalement, le festival accueillait une nouvelle projection du célébré Fauve de Jérémy Comte, qui s’est déjà mérité le prix spécial du Jury au Festival Sundance. Véritable tour de force, le film montre la tournure tragique que prennent les jeux de deux gamins dans une carrière déserte. Porté par la prestance foudroyante et mature du jeune Félix Grenier (qui s’est d’ailleurs mérité le prix du meilleur acteur de la section Court-Métrage) et la remarquable direction photo d’Olivier Gossot, le film est un véritable coup de poing face auquel il est impossible de rester indifférent.

Fauve – Jérémy Comte (Source : IMDb)

Lords of Chaos – Jonas Åkerlund

« Basé sur des vérités et des mensonges » – la couleur est annoncée pour Lord of Chaos, adaptation longtemps repoussée du livre du même nom de Michael Moynihan et Didrik Søderlind, qui relate l’émergence de la scène black métal norvégienne dans les années 90. À cette époque, un petit groupe de jeunes (certains guère plus que des adolescents) avait semé la terreur en Norvège – « un pays connu pour son haut taux de suicide et la chasse au phoque » nous apprend-t-on en ouverture. Rien ne semblait trop violent ou « diabolique » pour eux: vandalisme, profanation, automutilation, incendie d’églises et même meurtre – si plusieurs ont depuis insisté pour dire que ces actes n’avaient rien à voir avec la musique, force est de constater que ces événements sont aujourd’hui devenus indissociables de la musique black métal de cette époque. C’est sous l’angle inattendu de la tragicomédie que Jonas Åkerlund (qui, incidemment, fut un des membres fondateur de Bathory, groupe ayant exercé une grande influence sur le black métal norvégien) exploite cet épisode sombre de l’histoire de la musique métal, avec un regard aussi amusé que tendre à l’égard de ses protagonistes.

Le film est centré sur la figure influente et toxique d’Euronymous (Rory Culkin), guitariste du groupe Mayhem, considéré comme fondateur de la scène, et sa relation avec le tristement célèbre Varg Vikernes (Emory Cohen), qui allait finir par l’assassiner en 1993, acte sordide qui avait choqué le monde et changé à tout jamais le visage de la scène.

Passant de la comédie adolescente aux relents de Spinal Tap au thriller, Lord of Chaos se lit comme une descente aux enfers vue à travers les yeux d’un jeune homme cherchant désespérément à provoquer et être vu comme « méchant ». Figure charismatique et séduisante, Euronymous attire à lui des personnalités fragiles ou aisément influençables – Dead (Jack Kilmer), Faust (Valter Skarsgård) et Vikernes -, avec des résultats tragiques: d’abord le suicide de Dead (représenté comme un moment de perte d’innocence pour Euronymous), puis le meurtre d’un homosexuel par Faust, et finalement son propre assassinat par Vikernes.

Alors qu’il est vu par plusieurs comme un monstre dangereux, un genre de génie du mal (voir une réincarnation de l’Antéchrist), Åkerlund et le co-scénariste Dennis Magnusson voient le personnage pour ce qu’il est: un adolescent doué pour parler, mais beaucoup moins pour agir, tentant de garder secret son statut privilégié (une scène plutôt comique le voit cacher prestement un bouquet de fleurs et un mot d’encouragement envoyé par ses parents lors de la grande ouverture de son magasin de disques), condamné à se faire devancer par les personnalités plus extrêmes auxquelles il s’est acoquiné. Malgré qu’il soit souvent ridicule, le personnage n’en est pas moins profondément tragique: sous les traits anguleux de Rory Culkin (un acteur dont le talent versatile est  chaque année plus évident), il apparaît comme une victime de sa propre hubris, tellement désireux d’atteindre la gloire et la reconnaissance (après avoir été poignardé, son premier réflexe est d’imaginer comment tourner l’événement en coup promotionnel) qu’il finit par créer un monstre dont il deviendra une des premières victimes. Face à lui, Vikernes est représenté comme un adolescent mal dans sa peau et complètement ridicule, cherchant désespérément à plaire à son mentor (avec de vagues implications homoérotiques) et à éviter l’étiquette de « poseur », insulte mortelle dans un milieu quasi-exclusivement masculin fondé sur l’authenticité et les rapports de force.

Telle représentation, dans laquelle on devine d’immanquables raccourcis (en plus de l’avertissement d’ouverture, le générique rappelle que plusieurs personnages, événements et situations ont été transformés, voir inventés de toute pièce), ne manquera pas de faire grincer les dents à certains fans de la scène, choqués par cette représentation de leurs idoles rebelles comme des adolescents privilégiés (le film souligne à la fois l’éducation bourgeoise des protagonistes et leur dépendance au soutien financier de leur famille) pris dans une révolte aux allures plutôt puériles et un satanisme d’apparat. C’est Vikernes  – qui a toujours maintenu une version différente, encore que plus ou moins crédible, des événements – qui fait le plus les frais du scénario, tantôt en train de grignoter ses toasts en corpse paint, tantôt tentant d’impressionner des journalistes avec un arsenal peu convainquant d’épées et de symboles nazis, tantôt planifiant un assassinat impliquant une cassette de Die Hard 2 comme alibi.

Åkerlund signe une mise en scène dynamique et maîtrise de façon assez habile les – nombreux – changements de tons, passant d’une extrême à l’autre avec une facilité souvent déconcertante, parfois à l’intérieur d’une même scène. Extrêmement léchée, la direction photo de Pär M. Ekberg présente une version esthétisée des années 90, mélangeant imagerie grotesque et compositions réalistes. La bande-son alterne entre les frénétiques compositions black métal de l’époque et la musique planante (quoi que légèrement anachronique) de Sigur Rós, qui apporte un gravitas solennel aux événements du film.

Si la version des événements relatée par Åkerlund ne sera sans aucun doute pas aux goûts de tous, elle demeure néanmoins une vision moderne et innovatrice du récit biographique, s’éloignant d’une forme de représentation pseudo-réaliste (à cet effet, le choix d’Euronymous comme narrateur omniscient est une plaisante entorse à la logique) pour une interprétation créative d’une histoire elle-même entourée d’exagération, de fabulations et de légendes.

Lords of Chaos – Jonas Åkerlund (Source : IMDb)

Mandy – Panos Costamos

Voilà près d’une décennie que Nicolas Cage erre de série B en série B, distribuant sa marque pour le moins histrionique de jeu dans un nombre incalculable de productions de seconde zone qui n’en méritaient probablement pas autant. Occasionnellement, il réussit à trouver son chemin dans une production de qualité (Bad Lieutenant: Port of Call New Orleans), rappelant à tout le monde qu’il peut briller au service d’un metteur en scène de talent. Mandy semble taillé sur mesure pour lui: un film tout aussi ridicule, grotesque et anarchique que les productions de bas étage auxquelles il nous a habitué, mais cette fois sous la direction d’un cinéaste à la hauteur de ses ambitions les plus folles, Panos Costamos (Beyond the Black Rainbow).

En 1983, dans la forêt sauvage, Red (Nicolas Cage) travaille comme bûcheron et écoule ses temps libres en compagnie de sa petite amie Mandy (Andrea Riseborough, absolument méconnaissable) dans une modeste demeure isolée de la société. Leur vie idyllique, faite de conversations murmurées et de contemplation astrale, est interrompue par l’arrivée soudaine d’un culte apocalyptique dirigé par Jeremiah (un délectable et détestable Linus Roaches), qu’on pourrait définir comme un croisement entre David Carradine et Charles Manson en route pour un concert d’Alice Cooper (!). Jeremiah, après un regard pour Mandy, décide qu’il doit la kidnapper et invoque pour l’assister un groupe de motards démoniaques tout droit sortis de Hellraiser (!).

Mandy reprend la trope de la « femme dans le frigo » commune à nombre de séries B (et de films de Nicolas Cage – Rage, Vengeance: A Love Story, etc.), et la pousse dans des extrêmes psychédéliques rarement vus auparavant. Le film tout entier semble être plongé dans un brouillard rougeâtre, donnant l’impression de se passer sur une autre planète, voir dans une autre dimension. À travers un rythme lent et contemplatif (la vengeance fulgurante annoncée par le synopsis n’est lancée qu’après une heure et plusieurs scènes semblent intentionnellement étirées sur la durée), le film se construit autour de séquences modelées avec un talent d’orfèvre, destinées à s’imprimer longtemps sur vos rétines. Une scène de séduction hypnotique sous acide est un des moments forts du film: les images paraissent sortir de l’écran, les couleurs sur le point de s’enflammer. Le travail sur l’image de Benjamin Loeb (accompagné de Peter Bernaers à la colorisation) est tout  à fait exceptionnel, tout comme l’est la bande-son atmosphérique de Jóhann Jóhannsson (une des dernières composées avant son décès prématuré).

Pourtant, malgré cette mise en scène soignée, le film ne reste jamais bien loin de ses racines pulp, et, pour chaque moment d’élévation mystique et transcendante, on a droit à un moment de délire grotesque et scabreux, destiné à annihiler toute impression de sérieux que le film pouvait avoir. Nicolas Cage forgeant une hache gigantesque. Nicolas Cage sniffant une montagne de cocaïne sur un éclat de miroir. Nicolas Cage hurlant, couvert de sang de démon. Nicolas Cage engagé dans un duel à la tronçonneuse avec un cultiste. La liste continue.

À l’instar des autres films hallucinogènes des dernières années (Enter the Void), Mandy est moins porté par la profondeur de son histoire relativement banale (et relativement machiste), que par le déchaînement démoniaque se passant à l’intérieur de ses limites. Le film se vit moins comme l’écoute d’un récit que comme une expérience visuelle et sonore des plus totales, hommage chromé aux romans de gare dans lequel évolue un Nicolas Cage en complète phase avec un cinéaste pourvu d’une vision pour le moins unique en son genre.  C’est une prestance presque opératique que l’acteur vétéran apporte à Mandy, et il y a sans doute quelque chose s’approchant de l’opéra dans ce film, avec son organisation par tableau, sa théâtralité, son utilisation immersive de la musique, son découpage précis. Verdi revisité par la série B – tout un programme.

Mandy – Panos Costamos (Source : IMDb)

The Witch in the Window – Andy Mitton

Père divorcé, Simon (Alex Draper) amène son fils Finn (Charlie Tacker) au Vermont, où les attend une vieille maison délabrée que Simon espère remettre à neuf avec pour objectif de la revendre pour un profit. Et au passage, se rapprocher de son fils, qui semble amorcer une crise d’adolescence bien sentie (« J’espérais t’attraper sur le côté 12 de 12 ans, plutôt que le côté 13 de 12 ans » soupire Simon). Pour compliquer les choses, si la maison semble tout à fait charmante et pleine de potentiel, elle cache aussi un secret des plus sinistres, sous la forme du fantôme de sa précédente occupante, Lydia (Carol Stanzione), une femme solitaire que les habitants du coin n’hésitaient pas à qualifier de sorcière. Malgré une prémisse maintes fois entendue (certains diraient même éculée), ce nouveau film du réalisateur et scénariste Andy Mitton (le premier qu’il réalise seul, après We Go On et Yellowbrickroad) se révèle une surprise aussi surprenante que bouleversante.

Privilégiant les personnages aux effets horrifiques (se rapprochant en cela de la récente vague de « drames d’horreur » tels The Bababook, Hereditary ou Under the Shadow) The Witch in the Window commence lentement, gardant la sorcière du titre en arrière-plan pour la majeure partie du film, se focalisant sur les nuances de la relation père-fils au cœur du récit. À travers des dialogues remarquablement bien écrits, mélangeant pointes caustiques, discussions à cœur ouvert et aveux difficiles, le film explore de façon concise et brillante le divorce et la paternité, à travers la douloureuse réalisation de Simon face à son incapacité à protéger son fils des horreurs d’un monde en pleine perte de contrôle. Si la maison est hantée par une sorcière, Simon, lui, semble hanté par l’échec de son mariage – le film trace une analogie forte entre la maison superbe mais délabrée et la famille autrefois heureuse, mais aujourd’hui divisée, que Simon souhaite désespérément sauver. Cimentant ce lien, on apprend éventuellement que la maison est une tentative de reconquérir son ex-femme (Arija Bareikis), qui a toujours souhaitée s’installer à la campagne, loin de la ville.  Mais même cette maison aux allures d’un havre de paix, loin de la violence et du chaos de New York, est vulnérable aux attaques d’un élément extérieur, ici la Sorcière. Rien ni personne n’est à l’abri – un constat douloureux auquel Simon devra faire face.

Reposant en grande partie sur la relation entre Simon et Finn, le film est remarquablement bien servi par les performances d’Alex Draper et Charlie Tacker (un talent précoce à surveiller, qui élève le film à chaque instant), dont la chimie crève l’écran, ne rendant l’histoire et son inévitable conclusion qu’encore plus tragique. Innovation salutaire, Andy Mitton (qui signe aussi la musique et le montage) s’éloigne des conventions des films de maisons hantées (on est dispensé des portes qui claquent et autres meubles mobiles) pour proposer une horreur plus psychologique. Préférant cibler ses scènes horrifiques plutôt que de multiplier les effets, le film réserve des moments terrifiants tournant autour de doppelgängers et de manipulations d’une réalité de plus en plus floue. La sorcière elle-même, plutôt que d’être un esprit frappeur revanchard et hostile, est plutôt présentée comme une prisonnière de sa propre demeure, avec ses propres motivations – figure démoniaque et séductrice avec laquelle Simon devra pactiser s’il veut sauver sa maison.

D’une durée d’une peine 1h15, Witch in the window va directement à l’essentiel et ne s’encombre guère de superflu. Le troisième acte, par sa nature elliptique, laisse hors-champs plusieurs étapes importantes du récit. Un choix éditorial certes audacieux, mais qui ne manquera pas de décevoir certains spectateurs laissés sur leur faim par un film qui jusque-là faisait monter la tension dans un crescendo des plus réussis. Fuyant les climax tonitruants, Andy Mitton propose une fin arrivant tout en douceur, une résolution tranquille misant plus sur un sentiment d’inéluctable tragédie que sur les frissons d’épouvante. Décision qui sera sans doute décriée comme « anti-climatique » par plusieurs, certes.  Mais dans le cas de The Witch in the Window, cette décision élève le film au-delà du simple tour de maison hantée, vers une finale aussi émouvante que mémorable.

The Witch in the Window – Andy Mitton (Source : IMDb)

Montreal Dead End – Collectif

Une paisible journée d’été à Montréal, ville de la construction et des nids de poule… dont un a commencé à cracher une curieuse brume verte. Celle-ci se répand à travers la ville, donnant lieu à de nombreuses scènes d’horreur.

Auto-produit par un collectif de 20 cinéastes de la relève montréalaise (avec l’aide de 91 comédiens et pas moins de 204 techniciens bénévole), Montreal Dead End se présente comme une anthologie de 15 court-métrages documentant chacun une station de métro, un quartier ou un lieu d’importance montréalais (Hochelaga, le Mont-Royal, la Place des Arts, Montréal Nord, etc.). Fil rouge un peu chaotique entre ces sketchs, les tentatives de Serge (Marco Collin), gardien mystique de son état, pour sauver la ville.

Sur papier, l’idée de Rémi Fréchette et Yohann Thiou est prometteuse, et cette visite guidée de Montréal s’avéra sans doute très amusante pour les montréalais, qui apprécieront les nombreuses blagues d’initié sur leur ville mal-aimée. Comme c’est le cas dans la plupart des anthologies, la qualité varie grandement d’un sketch à l’autre, tout comme le ton: certains sketchs vont dans la comédie franche (légumes animés et meurtriers, gamine zombie contre grand-maman, souper romantique entre morts-vivants, etc.) tandis que d’autres donnent dans une horreur plus franche.  Qu’elle soit consciente ou non, on regrettera une certaine focalisation des cinéastes impliqués sur les zombies et autres morts-vivants, qui reviennent dans une grande majorité des sketchs, créant à la longue une certaine redondance et un désir pour des sketchs plus variés.

Montreal Dead End bénéficie dans la grande majorité des cas d’une mise en scène compétente et débrouillarde, à défaut d’être particulièrement originale, capable de créer des ambiances avec une remarquable économie de moyens. Parmi les sketchs les plus amusants, on notera Greentrack (Centre-Ville), réalisé par David Émond-Ferrat et mettant en vedette Guy Jodoin dans le rôle d’un banquier imbu de lui-même et fier de voir son nom de famille lié à la fameuse rue Greentrack… à moins qu’il ne s’agisse de la rue Peel? Une rencontre avec un monstre dans une ruelle aura tôt fait de régler cette épineuse question. Autre sketch sympathique, Who listens to Celine anyway? (Outremont), réalisé par Catherine Villeminot et Tiphaine DeReyer, nous fait suivre un jeune (et très innocent) couple de tourtereaux cherchant à bruncher à Outremont, sans se rendre compte qu’ils sont la cible de zombies assoiffés de sang. Je vous laisse découvrir ce que Céline Dion a à voir là-dedans. Variation sur le thème de Freaky Friday, Corps et âmes de Quentin Lecocq suscite les sourires avec les mésaventures du couple de Johnny et Sally, dont les corps se retrouvent échangés lors d’une sortie au parc Lafontaine.

Dans un registre plus sérieux, Incarnée de Julie de Lafrenière raconte l’histoire d’une vieille femme participant à un intrigant rituel sur l’île Ste-Hélène. Bien qu’un peu opaque, le film détonne positivement dans l’ensemble par sa sobriété et son travail atmosphérique réussi. Quant au très ambitieux La Suie du Sang (Mara Joly et Charles Massicotte), il propose rien de moins qu’un voyage dans le temps jusqu’à l’époque de la Nouvelle-France alors qu’une guide touristique reçoit une leçon d’histoire un peu trop intense à son goût quand elle se trouve soudainement téléportée à l’époque des filles du Roy.

Débrouillard et indépendant, Montréal Dead End annonce une vague de cinéastes prometteu.ses, fiers et fières de leurs racines underground, capables de créer des miracles sans attendre des subventions tombées du ciel. Si le film ne brise pas de record d’originalité et souffre parfois d’idées un peu simplistes, il témoigne néanmoins de l’arrivée d’une relève passionnée dans le cinéma de genre québécois.

Montreal Dead End – Collectif (Source : IMDb)

Searching – Aneesh Chaganty

Le Festival Fantasia accueillait cette année trois films appartenant au modèle « Storylife », technique cinématographique innovatrice développée sous la tutelle du réalisateur et producteur Timur Bekmambetov  (Daywatch, Wanted). Cette nouvelle façon de concevoir le cinéma imagine des films se déroulant dans leur entièreté sur l’écran d’un ordinateur, c’est-à-dire que le spectateur suit (plus ou moins en temps réel) un récit se développer sur l’écran, à travers messagerie instantanée, conversations skype, navigation internet et autres gestes de la vie numérique. Les films présentés cette année, tous produit par Bekmambetov, exploraient des genres variés: le film d’horreur avec Unfriended: Dark Web (suite de Unfriended, qui avait connu un bon succès à Fantasia il y a quelques années), le thriller politique avec Profile (réalisé par Bekmambetov) et finalement le film policier avec Searching, réalisé par Aneesh Chaganty et co-écrit par Sev Ohanian.

Revisitant le genre du « papa détective »,  Searching met en vedette John Cho dans le rôle de David Kim, père doux et aimant, quoiqu’un peu innocent. David, comme on l’apprend à travers un (suintant de sentimentalisme) montage musical d’ouverture, a tout récemment perdu sa femme après une dure lutte contre le cancer, et a à présent la lourde tâche d’élever seul Margot (Michelle La), sa fille adolescente. Quand celle-ci disparaît sans laisser de trace et que l’enquête lancée par la détective Rosemary Vick (Debra Messing) piétine, David, prêt à tout pour retrouver son enfant, commence à fouiller dans son ordinateur à la recherche d’indices.

D’entrée de jeu, Searching enfreint plusieurs des « règles » installées par les précédents films du modèle « Storylife »: présence de musique non-diégétique, utilisation d’un acteur connu, mouvements de caméras sur l’écran et différents raccourcis permettant de montrer le plus d’images possibles à l’écran (on ne manquera pas de trouver curieux que David prenne tous ses appels téléphoniques devant sa webcam allumée). Ces petits accrocs aux règlements, en autant qu’on parvienne à les ignorer, ne viennent pas nuire outre mesure à l’appréciation du film, et témoignent plutôt d’une interprétation créative d’un système narratif qui en est encore à ses balbutiements. Comme dans le précédent Unfriended, le dispositif fonctionne assez bien, et est utilisé de façon assez dynamique et inventive pour créer une véritable tension à travers des actions aussi anodines qu’un changement de mot de passe ou la consultation de conversations Facebook archivées. Certaines touches d’humour sont également employées, jouant autant sur l’incompréhension de papa Kim face aux applications utilisées par sa fille que sur des référents communs de l’ère numérique (une brève apparition de Bliss, le fond d’écran par défaut de Windows XP, a provoqué un rugissement de rire dans la salle).

En réalité, les problèmes de Searching tiennent d’avantage à son fond qu’à sa forme. Si tout le dispositif parvient à créer une immersion et un rythme conséquent, l’histoire, en revanche, nous amène sur des sentiers beaucoup plus conventionnels et sans surprise. Problème symptomatique du genre policier, l’enquête menée par David Kim repose largement non pas sur son pouvoir de déduction (ou celui du spectateur) mais sur une série de coïncidences pour le moins improbables et d’indices judicieusement glissés au compte-goutte entre ses mains. La révélation finale, de fait, semble moins le fruit d’une enquête du protagoniste (et du spectateur) que d’une pirouette scénaristique. Si le film traite par la bande du phénomène des doubles-vies numériques, on déplore toutefois que le traitement en soit si superficiel. Cam, également présenté au festival cette année, présentait un regard plus inspiré sur ces thématiques.

Jouant essentiellement seul face à une webcam, John Cho offre une performance solide, s’éloignant des pères vengeurs et hors de contrôle à la Liam Neeson (pas de poursuites automobile, de torture ou d’imprécations menaçantes ici) pour une interprétation plus subtile – il se démarque parmi un casting offrant des performances autrement plus anecdotiques.

Expérimentation formelle réussie (encore que jamais bien loin de la gimmick), mais thriller policier oubliable, Searching représente une étape de plus dans la découverte d’un nouveau format cinématographique des plus prometteurs et qui, entre les mains de réalisateurs et auteurs de talent, ouvre la porte à un monde presque infini de possibilités de représentation.

Searching – Aneesh Chaganty (Source : IMDb)

Le Festival Fantasia sera de retour en 2019. Voyez le reste de notre couverture ici.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM