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17-05-2025 Vol 19

Festival Vues d’Afrique – Partie 3

Cette troisième et dernière partie de la couverture sur Vues d’Afrique propose de présenter le festival plus avant, tout en soulignant ses divers engagements auprès de la jeunesse montréalaise et en faisant un retour sur quelques films vainqueurs pour cette 33e édition.

 Matinées ciné-jeunesse : découvrir l’Afrique et les pays créoles

Chaque année, le festival prévoit des matinées ciné-jeunesse et accueille les élèves de différentes écoles primaires et secondaires de l’île de Montréal. Pour chacune des séances, quelques courts métrages sont projetés et on offre aux jeunes la possibilité de discuter de divers enjeux avec des intervenant∙e∙s lors d’ateliers montés par l’équipe du festival. D’ailleurs, la collaboration qui unit Vues d’Afrique et les camps d’été du Docteur Gilles Julien est un prolongement de cette initiative. Elle permettra en effet l’organisation de séances de projections gratuites pour les enfants du quartier Hochelaga-Maisonneuve pendant l’été. En plus d’élargir les horizons des enfants, un tel projet permet à des jeunes issus de milieux difficiles de vivre et de partager le plaisir du cinéma.

La programmation régulière du festival contenait quelques courts métrages de fiction dont les personnages principaux étaient des enfants. Les courts métrages Aya wal bahr (2016, Maroc) et Debout Kinshasa (2016, France) étaient tous deux aussi projetés dans le cadre des ateliers sur les droits et les devoirs des enfants. Chacun traite, à sa manière propre, de l’accès à l’éducation et du travail des enfants dans des contextes différents. Les séances sur les contes et la littérature présentaient quant à elles le visionnement du court métrage d’animation Iâhmès et la grande dévoreuse (2016, France) de Marine Rivoal et Claire Sichez.

Le court métrage de Maryam Touzani, Aya wal bahr, aborde un enjeu important du Maroc contemporain : le travail des « petites bonnes ». Ces jeunes travailleuses invisibles, très vulnérables et souvent exposées aux abus, vivent dans une grande réclusion. Malgré le fait que la loi marocaine assure qu’entre six et seize ans les enfants doivent être scolarisés, l’école ne fait pas partie de leur quotidien. Dans cette fiction, le personnage d’Aya (Nouhaila Ben Moumou) se soustrait à la loi puisqu’elle est employée dans une maison privée, rappelant du coup la condition d’un grand nombre de jeunes domestiques qui échappent à la vigilance des représentants de l’État.

Avec finesse, l’histoire d’Aya oscille entre le jeu, l’isolement et l’amitié. La jeune fille a pour complice une vieille voisine délaissée, Habiba (Fatima Harandi), qui lui permet de rompre la solitude imposée par sa situation. Son esprit d’enfant, soutenu par la présence solidaire de Habiba, trouve le moyen de s’évader de la monotonie des corvées. Le personnage d’Aya est construit de telle sorte qu’il y cohabite deux figures qui semblent antagonistes : une travailleuse expérimentée et une attachante enfant de 10 ans, qui se joue de tout et qui s’ennuie de sa mère.

Même s’il traite d’un sujet politique, Aya wal bahr bénéficie d’une réalisation au ton léger, presque enfantin, qui lui confère une certaine sincérité. L’absence de l’école dans la vie d’Aya n’est pas décriée ou même pointée. Cette réalité n’existe pas, simplement, et cette façon de montrer que les droits de l’enfant sont bafoués est somme toute aussi efficace qu’une confrontation franche.

Aya wal bahr -Maryam Touzani

Le personnage principal du film de Sébastien Maitre, Debout Kinshasa (2016, France), est un garçon qui, contrairement à Aya, est inscrit à l’école. Or, Sam (Bryan Mbuangi) fait face à un obstacle de taille puisqu’il n’a pas les bonnes chaussures pour avoir le droit de franchir le portail de l’école. Cet élément peut paraître négligeable à côté du droit à l’éducation, mais il fait pourtant partie des trois règles fermes auxquelles doivent se conformer les élèves de Kinshasa, en République Démocratique du Congo. Chacun∙e doit avoir le niveau académique adéquat et doit s’être acquitté de ses frais de scolarité. Il est aussi nécessaire d’arriver, chaque matin, en portant l’uniforme réglementaire, dont des chaussures en cuir verni. Tous les matins, plusieurs enfants se voient refuser l’entrée en classe. Être rejeté de l’école mène directement à la rue, où il faut travailler.

Le court métrage montre exactement ce devoir de travailler auquel Sam doit se soumettre. Vif, il choisit néanmoins de mettre cette situation forcée au service de son éducation, cherchant un moyen d’acheter ces chaussures essentielles. Son parcours dans Kinshasa permet au public de traverser la ville avec lui, et d’en percevoir le fonctionnement et les petits métiers de la rue. Sam se lance d’ailleurs dans la vente de dentifrice en portions individuelles. Cette affaire, lucrative, lui permet d’aider ses parents, en difficultés financières. Grâce à une entourloupe ingénieuse, Sam réussit même à soutenir d’autres élèves, eux aussi refoulés aux portes de l’école. Montée comme une boucle, cette fiction offre l’image d’un équilibre rétabli grâce à la débrouillardise de l’enfant, à qui de belles chaussures neuves ouvrent toutes grandes les portes.

Debout Kinshasa – Sébastien Maitre

La sélection des œuvres faite par l’équipe du festival contenait peu de films d’animation, dont le court métrage Iâhmès et la grande dévoreuse (2016, France), de Marine Rivoal et Claire Sichez. Cette fiction raconte l’histoire de Iâhmès, un garçon-momie qui refuse sa propre mort. Le sentiment de peur qui habite le début de la fiction rend tout menaçant : les dieux, les juges et la grande dévoreuse – monstre mythologique qui dévore les âmes n’ayant pas droit à la vie éternelle. Dans sa fuite, Iâhmès retourne auprès de sa mère. Le réconfort que celle-ci lui apporte remet les choses en perspective, faisant de la mort et de la grande dévoreuse des éléments qui sont en fait dénués de malice.

Si le scénario est touchant, ce qui retient surtout l’attention est la technique particulière employée par l’auteure graphique, Marine Rivoal. En effet, la collagraphie  donne à l’animation une qualité d’images recherchée, en nuances de gris. Exigeant une grande minutie, cette technique rappelle l’estampillage. Pour chaque tirage, l’artiste doit recréer l’image en volume, l’encrer et l’imprimer à l’aide d’une presse. Tout en transparence et en douceur, l’esthétique que confère la collagraphie est remarquable.

Le court métrage a la particularité de faire se rencontrer deux époques de manière originale : le monde ancien, représenté par la mythologie égyptienne et ses rites, et le monde moderne que quitte le garçon. Iâhmès et la grande dévoreuse permet donc une actualisation du mythe de la momie plutôt charmante, adaptée à un jeune public. On ne peut toutefois s’empêcher d’insister sur le fait que le film souffre d’une représentation erronée des Égyptien∙ne∙s. La reprise de lieux communs dans l’imagerie (chevelures noires au carré, vêtements en voiles clairs, nez typiques, etc.) ne fait que souligner la grossièreté de la blancheur de la peau de tous les personnages.

Iâhmès et la grande dévoreuse – Marine Rivoal et Claire Sichez

En outre, l’engagement de Vues d’Afrique envers la jeunesse dépasse le cadre du festival. Tout au long de l’année scolaire, le programme met sur pied différents ateliers traitant de thématiques diverses, pour les écoles. Cette collaboration avec plusieurs artistes permet aux jeunes de découvrir l’Afrique et ses grandes diasporas tout en faisant appel à leur imagination et à leur esprit critique. D’une façon créative et ludique, Vues d’Afrique poursuit sa mission et initie les jeunes esprits à la diversité, et ce, grâce à des activités aussi variées que la danse afro-caribéenne, les contes, les percussions ou les graffitis.

Palmarès : des films à voir

En parallèle avec sa programmation engagée, Vues d’Afrique, en tant que plateforme, rappelle les enjeux auxquels sont confrontés les cinémas de l’Afrique et des grandes diasporas. Liés à la production cinématographique et à la diffusion, ces enjeux ont été au centre d’échanges multiples. Un colloque organisé dans le cadre du festival portait d’ailleurs sur la coproduction cinématographique en Afrique, discutant particulièrement de la pertinence de la coopération Sud-Sud. Cette dernière, dont le Maroc est un acteur principal, vise l’évolution et la transformation des pratiques cinématographiques sur le continent. À cet espace de réflexion formel s’ajoutaient diverses prises de parole de réalisateur∙rice∙s dénonçant la difficulté qu’ont ces cinémas à franchir les frontières continentales. Effectivement, les critiques qu’adressent les diffuseurs occidentaux aux productions cinématographiques relèvent généralement de l’incohérence supposée entre le public cible des œuvres (africain) et celui des diffuseurs (non africain). Ce faisant, la diffusion transnationale et transcontinentale d’œuvres africaines, traitant pourtant de sujets humains s’inscrivant souvent dans une perspective mondiale, reste un défi.

En ce sens, Vues d’Afrique, déjà considéré comme un espace de diffusion important, participe à offrir aux réalisateur∙rice∙s une reconnaissance caractéristique en phase avec le milieu et ses valeurs. Chaque année, cet événement d’envergure clôt ses festivités par une soirée de remise de prix offerts par différents organismes, dont l’Organisation Internationale de la Francophonie. Pour cette édition de 2017, la soirée de clôture de Vues d’Afrique avait lieu au Centre Culturel Marocain Dar Al Maghrib, à Montréal.

Fidèle à ses valeurs, le festival proposait six sections déterminées, chacune ayant son propre jury. En plus des sections attendues « Fictions internationales », « Documentaires internationaux » et « Afrique connexion », on retrouvait les sections plus engagées « Droits de la personne », « Regards d’ici » et « Développement durable ». En outre, les festivalier∙ère∙s étaient invité∙e∙s à voter pendant toute la durée de l’événement, permettant à plusieurs films de recevoir le prix du public. On retient les gagnants de trois catégories, les principales.

Sans surprise, Clash (2016, Égypte-France), de Mohamed Diab, a été sacré meilleure œuvre de fiction. On souligne la réalisation impeccable de ce film politique, dans lequel sont rassemblé∙e∙s, dans un lieu clos, plusieurs manifestant∙e∙s arrêté∙e.s lors d’une journée d’émeute au Caire en 2013. En contraignant ces individus engagés sur des fronts différents à partager un espace exigu et contrôlé, le scénario force un affrontement entre différents discours politiques et religieux à partir duquel évolue l’attente, voire l’espoir, d’un dialogue.

Clash – Mohamed Diab

Quant au prix du meilleur documentaire, il a été attribué à la cinéaste franco-burkinabé Chloé Aïcha Boro, pour France-aurevoir, le nouveau commerce triangulaire (2016, Burkina Faso-Togo-France). Si le titre rappelle la traite des esclaves entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique, le documentaire se penche sur la place qu’occupe l’Afrique dans une économie contemporaine, celle du coton. Reprenant la forme d’une géographie triangulaire, l’exploitation du coton repose sur l’Afrique de l’ouest, où il est produit, pour être transformé en Chine et consommé en Europe. Enfin, le produit effectue un retour en Afrique, sous la forme de dons et de charité. La réalisatrice s’interroge sur les impacts qu’a un tel commerce, particulièrement sur les humains qui participent à cette chaîne internationale.

Pour la section « Afrique connexion », composée d’œuvres s’adressant à un public africain de prime abord, le prix du meilleur long métrage a été remis à la fiction Pluie de sueur (2016, Maroc) de Hakim Belabbes. Racontant l’histoire d’une famille paysanne en situation de crise, ce drame a la particularité d’être vu à travers le regard d’Ayoub (Ayoub Khalfaoui), le fils adolescent, atteint de trisomie. Le rythme lent insiste sur le déploiement d’une poésie des images, convoquant à la fois le rêve, les symboles et les rites, et la force du quotidien. Le résultat est lumineux, onirique, et très bien soutenu par l’interprétation instinctive d’Amin Naji, dans le rôle du père, et celle de Fatima Zahra Bennacer, qui incarne avec justesse et contenance la mère d’Ayoub, véritable force tranquille.

Pluie de sueur – Hakim Belabbes

 Un rendez-vous ?

Vues d’Afrique est une plateforme assurant l’existence d’un espace accueillant la diversité. Celle-ci passe par la rencontre de cultures multiples et de sujets variés, mais aussi par la pluralité artistique convoquée. Entre les projections, les festivalier∙ère∙s pouvaient à loisir profiter des spectacles et discuter ou débattre dans un lieu conçu pour l’occasion, le Baobar. Les performances étaient nombreuses, alternant entre la musique, la danse et le dessin, permettant d’apprécier des prestations musicales, telles que celles des musiciens ILAM et Ekinoxilla World, et de danse, avec la compagnie Tsingory Dance and Music of Madagascar et la troupe de danse maghrébine et moyen-orientale Sanaa danse. Convivial, le Baobar s’est rapidement muni d’une grande tablée où pouvaient se rassembler quotidiennement les invité∙e∙s, le temps de déguster la savoureuse cuisine africaine offerte sur place.

Enfin, il semble plus que juste de saluer les réalisateurs et les réalisatrices, souvent présent∙e∙s lors des projections et toujours prêt∙e∙s à échanger avec le public, et ce, avec une grande générosité. Avec le festival, les organisateur∙rice∙s de Vues d’Afrique ont définitivement su créer un espace stimulant, enrichissant et engagé, promettant une programmation complète et fertile qu’il fait plaisir de partager. Vues d’Afrique ? C’est un rendez-vous !

Si les festivités se sont terminées le 23 avril dernier, Vues d’Afrique poursuit sa mission en mettant de l’avant différents projets et événements tout au long de l’année. Jusqu’au 30 juin, le Rallye Expos 2017 propose les expositions « Égypte ancienne », au Musée Redpath McGill et « Couleur du Nil », au Musée des Maîtres Artisans du Québec. Celles-ci sont les deux dernières d’une série de vingt expositions qui ont débuté au mois de février, à Montréal. Pour celles et ceux qui souhaiteraient prolonger l’expérience offerte pendant le festival, les soirées Ciné-spectacles au Clair de Lune, alliant performances artistiques et projections en plein air, auront lieu au mois de juillet. La 34e édition du festival Vues d’Afrique aura lieu du 13 au 24 avril 2018. Vous pouvez relire les partie 1 et 2 de notre couverture sur notre site.

Article par Mariève Pelland Giroux.

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