Il y a quelques jours, Léa Clermont-Dion publiait chez Cheval d’août une œuvre d’une grande importance. Dans son récit Porter plainte, la réalisatrice québécoise joue cartes sur table et révèle l’histoire entière de son agression sexuelle. À travers ce récit difficile, elle nous dévoile tout, sans essayer de cacher sa vulnérabilité. L’autrice fait valoir à la fois le beau – le courage, la détermination, le soutien –, qui a su faire son chemin malgré cet événement atroce, et le laid – le trauma, l’anxiété, la consommation –, qui s’est taillé une place dans son quotidien à la suite de son agression.
L’œuvre est séparée en trois parties : « Reconstitutions », « Le procès » et « Le jugement ». La première partie est plutôt autobiographique. Léa Clermont-Dion nous amène avec elle dans son passé. Elle nous brosse un portrait rapide de sa jeunesse, puis elle explique sa rencontre avec son agresseur, qu’elle nomme John Doe. C’est à ce moment que nous avons accès aux premiers détails de l’agression dont elle a été victime. Je vous avertis : dès les premières pages, une envie folle de crier m’a traversée. Je ressentais une énorme frustration face aux injustices encore trop présentes dans notre société, aux femmes qui ne se sentent en sécurité nulle part, aux prédateurs sexuels qui ont si peu de conséquences. C’est triste quand on y pense : demandez à une femme de vous faire part d’un événement à caractère sexuel déplacé dont elle a été témoin et elle aura certainement quelque chose à vous raconter. Entre l’exhibitionnisme, les tripotements non sollicités, les attouchements et les agressions qui ont lieu tous les jours, peu de femmes y échappent.
La deuxième partie du récit est justement plus journalistique, voire essayistique. Non seulement nous assistons au procès par l’entremise de Léa Clermont-Dion, mais elle nous expose aussi aux cas de multiples autres survivantes et à leur iniquité en justice, notamment ceux de femmes racisées ou dont les agresseurs ont beaucoup de pouvoir monétaire ou politique. Ainsi, comme beaucoup d’autres œuvres, Porter plainte illustre les problématiques du système pénal québécois en ce qui concerne les agressions sexuelles; ces lois qui tardent à être modifiés. En effet, les victimes se retrouvent la plupart du temps désavantagées en cour, la défense ayant eu accès à leur déposition à l’avance afin de préparer leur plaidoyer, alors qu’elles n’entendent leur version qu’une fois devant le tribunal[1].
Porter plainte est une œuvre féministe qui encourage, oui, à dénoncer, mais surtout à faire les choses à son rythme. Les victimes sont prises au piège, d’un côté on leur dit à la fois qu’elles devraient dénoncer et, de l’autre, qu’elles dérangent. Prendre la parole peut déplaire à beaucoup de gens, comme on a pu le voir chez Léa Clermont-Dion, qui a dû faire face aux tentatives de plusieurs de la réduire au silence. Il faut donc être prêt à faire face à tous les défis qui découlent de la dénonciation avant de sauter dans l’action. Il faut être conscient qu’il y aura des refus, des confrontations, des ouï-dire, des insultes autant sinon plus que des encouragements, des bons mots, des témoignages.
Dans la troisième partie, nous faisons justement face aux arguments de la défense, qui tente de réduire la crédibilité de la plaignante afin qu’il y ait un doute raisonnable et que l’agresseur soit acquitté. Nous avons accès à une bonne partie du jugement, dont le dénouement nous permet un peu d’espoir.
Bref, ce « journal de la poursuite », comme l’appelle Léa Clermont-Dion, m’a fait vivre un flot d’émotions; j’ai été fâchée, abasourdie, affligée. C’est un message haut et fort qu’il faut se battre pour ses convictions.
[1] Léa Clermont-Dion, Porter plainte, Montréal, Cheval d’août, 2023, p. 111.
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Clermont-Dion, Léa, Porter plainte, Montréal, Cheval d’août, 2023, 224p.