Travesties de Tom Stoppard est une pièce difficile à monter. Écrite dans les années 1970, elle se veut une sorte de vaudeville inspiré d’une anecdote de la vie de James Joyce et calqué sur The Importance of Being Earnest d’Oscar Wilde. Henry Carr, personnage principal et narrateur de la pièce, raconte l’année 1917 à Zurich et sa rencontre avec James Joyce, Tristan Tzara et Vladimir Lénine, en trébuchant sur quelques détails.
Comme trop souvent au Centre Segal, ce que j’ai préféré était la scénographie: des paliers en bois reliés par des escaliers de différentes hauteurs, surmontés de deux sublimes bibliothèques coulissantes, d’une longue table de travail et de plusieurs chaises coussinées. À l’entrée du public, le rideau de fond avait été tiré pour laisser entrevoir la rue à l’arrière du théâtre. Allait-on enfin briser la boîte noire étouffant la conscience chronologique et géographique du spectateur? Eh non. Avant même qu’un personnage ne paresse, le rideau fut refermé et Montréal disparût. Henry Carr vint prendre place tout à l’avant de la scène et commença un ronflant monologue de plus de 20 minutes. Il se releva ensuite pour se rasseoir un peu plus loin avec Tzara pour un autre dialogue figé.
Si le jeune et talentueux Jacob Tierney (Le Trotsky) continue son brillant parcours dans le monde du cinéma, force est de constater que son expérience de metteur en scène est assez limitée. En effet, la mise en place est statique, le jeu est caricatural, le texte est vidé de l’esprit de Wilde et/ou de Stoppard. Durant littéralement 90% de la pièce, seul le côté cour de la scène est utilisé. Les comédiens, bien qu’enthousiastes et investis, équilibrent mal une mise en scène superficielle et maladroite. Tous les éléments de celle-ci étaient prévisibles, sans imagination ni constance. On sent bien le plaisir tout naturel de l’équipe à mettre en images la fiction de l’auteur, toutefois il manque une direction à la production, une vision d’ensemble autour de laquelle on aurait décidé du ton, du rythme et de l’esthétique de la mise en scène.
Loin de moi l’idée de faire porter tout le blâme sur le metteur en scène, qui en est à ses premiers pas au théâtre. Jacob Tierney n’est pas celui qui a choisi de montrer Travesties, choix que je questionne d’ailleurs. Selon le discours de remerciement de la directrice artistique du Centre Segal, ce choix était évident. Pourquoi? Elle ne l’a pas dit. Pourquoi monter un remake tordu d’une pièce sublime? Pourquoi monter une pièce qui parle du rôle essentiel et de la visée de l’art? Pourquoi, aujourd’hui, croit-on que le dadaïsme et l’esthétisme sont des références de premier ordre pour penser ces questions pourtant actuelles dans un pays où il est miraculeux que le théâtre continue d’exister? Je souhaite de tout cœur que l’administration du Centre Segal se penche sur ces questions lors de ses prochaines programmations.
——
Travesties, de Tom Stoppard, m.e.s. de Jacob Tierney. Présenté au Centre Segal du 12 avril au 3 mai 2015.
Article par Corinne Pulgar. Bachelière en art dramatique, parfois régisseur, metteur en scène et conseillère dramaturgique. Aussi végétarienne, humaniste, addict de la parrhésie et numéricienne lettrée.