La pièce Hamster de Marianne Dansereau est un casse-tête. Les morceaux se développent, chacun de leur côté, donnent faim d’en savoir plus. Quand les pièces s’emboîtent, l’image est frappante.
Les personnages gravitent autour d’un Petro-Canada de banlieue. Ses néons rouges et sa salle de bain, ses odeurs de cigarette et de pot fumés tout près de la conduite de ventilation unissent les ados, le Vieux, leurs tragédies. «Des brisures, mais pas nécessairement négatives», explique l’autrice en entrevue.

Hamster. Crédits photo: Annie Éthier
La banlieue, violente latence
Tout commence par une ado qui attend l’autobus 51, quelque part à Boisbriand. C’est la fête du Travail. Elle sait bien que le bus ne passera pas, mais elle attend quand même à l’arrêt en face du Pétro-Canada.
Un vieux passe l’aspirateur sur sa pelouse, s’arrête pour jaser avec elle.
À l’intérieur de la station-service, deux employés s’obstinent pour ne pas aller aider une cliente dehors. Celle-ci finit par partir.
Une adolescente en uniforme parle à son hamster. Elle lui confie son quotidien — la rentrée, les déceptions amoureuses, le vol de chandails à l’Aubainerie, le tunnel jaune du module au parc.
Chacun des personnages nous entraîne dans son histoire par des discussions sans but apparent. La détresse se fait de plus en plus exigeante. La pièce traite d’amour, mais aussi de laideur, de fatalité. Les personnages explosent à force de fuir.
Dans le congélateur à crème glacée du Petro-Canada, à côté des popsicles cyclones, ce qu’on croyait être un hamster est un fait un bébé. L’adolescente en uniforme prend tout à coup une nouvelle dimension, perd de son innocence. Elle est entrée trop tôt dans l’univers de la maternité, pas encore prête.
On comprend qu’elle a aussi goûté à l’abandon, le gars du Pétro-Canada refusant de prendre ses responsabilités de père.
Pour en rajouter une couche, l’ex de l’employé au chandail rouge se trouve à être la fille aux cheveux roses. Hasard, quand tu nous tiens… la fille aux cheveux roses n’a pas apprécié que l’ado lui «vole» son copain. Pour la punir, elle lui a tenu la tête dans le bac de liquide lave-glace de la damnée station, a pris le squigee pour la défigurer.
Maintenant, l’ado aux cheveux roses regrette, est désolée, veut s’excuser. Le mal est fait, mais l’ado en uniforme, gelée, affirme que tout va bien. Que son bébé est correct maintenant, en sécurité…

Hamster. Crédits photo: Annie Éthier
Écrire sur les humains, pour les humains
Hamster est une pièce instinctive. C’est ainsi que l’a écrite Marianne Dansereau, il y a des années de cela, alors qu’elle étudiait encore à l’École nationale de théâtre. «Tous les personnages sont un peu de moi, confie-t-elle. Ils sont anonymes, comme des faits divers; tout le monde peut s’y identifier.» D’où l’absence des prénoms des personnages.
Ce qu’ils vivent est impératif, brut, et surtout lucide. Comme dans plusieurs œuvres contemporaines, on s’éloigne du déni de la sexualité, on accepte la drogue comme une réalité et non comme un spectre effrayant qui planerait sur la société. «Il y a un désir de montrer c’est quoi, des vrais ados, des vraies filles et des vrais gars de 16 ans», lance l’auteure.
Il est facile d’être choqué par Hamster. Plusieurs personnes ont d’ailleurs rapidement quitté la salle à la fin de la représentation. Pourtant, rien n’est glauque, rien n’est vulgaire ou déplacé dans la mise en scène habile de Jean-Simon Traversy. Le propos demeure flou, suggéré plutôt qu’imposé. C’est au spectateur d’emboîter les morceaux.
«Je pense que les gens sont prêts à ça, et je pense qu’ils doivent l’être s’ils ne le sont pas», estime Marianne Dansereau. C’est une bonne dose de réalité qu’ont reçu les spectateurs dans la grande salle du théâtre La Licorne. Presque banale de prime abord, la pièce recèle d’une beauté sauvage, décalée. Celle qui peut être juste à côté et quand même nous passer sous le nez.
Les personnages sont pour la plupart adolescents, mais le propos ne se confine pas aux frontières de l’âge ingrat. La pièce aborde la question du «comment vivre, comment aimer», qu’on gagne tous à se poser.
Hamster était présenté à La Licorne du 6 au 24 mars 2018.
Article par Ericka Muzzo.