Deuxième partie : Trouver la perle au milieu des navets
Dans l’espoir de faire ressortir un portrait cohérent de la stéréoscopie au cinéma, technologie parfois négligée et dont les secrets peuvent être difficiles à percer pour le néophyte, j’ai tenté de me pencher sur les initiatives les plus prometteuses des dernières années. Une innovation brillante qui n’a pas fini de nous étonner. Deuxième texte d’une série de trois.
En voyant tout ce qui se fait de superflu en 3D (tous les Avatar de ce monde), on en vient à se demander si la 3D peut réellement apporter quelque chose au cinéma, mais surtout, à son propos. Afin d’en comprendre l’intérêt, je me suis penché sur deux courts métrages parmi les plus novateurs réalisés en 2011 au Québec. Ora de Philippe Baylaucq (primé à Beverly Hills aux 3D Creative Arts Awards) et Corps fugaces : empreinte de Marlene Millar, Crystal Pite et Philip Szporer. Ce n’est sans doute pas une coïncidence si les deux films ont été produits par l’ONF. « Il y a très peu d’endroits dans le monde qui accepteraient un tel risque financier », fait remarquer le réalisateur Philippe Baylaucq. Effectivement, les difficultés liées à la distribution de courts métrages en rebutent plus d’un. Surtout lorsqu’il s’agit de deux films de danse contemporaine. L’apport artistique de ces deux œuvres est pourtant gigantesque, puisqu’elles ont toutes deux dû employer de nouvelles technologies pour voir le jour. Mais l’innovation s’accompagne de frais considérables. « Un peu moins d’un million de dollars ont été investis en fonds publics dans Ora, incluant la recherche », avoue Philippe Baylaucq. Pour un film d’un peu plus de 15 minutes, c’est énorme. Toutefois, le Québec est le premier à tourner une œuvre avec des caméras 3D infrarouges, originellement produites pour l’armée américaine.
Philippe Baylaucq n’a aucun mal à justifier l’utilisation de la 3D dans son film. « J’avais envie de faire quelque chose qui n’avait jamais été fait, de briser les règles. » À voir les danseurs constamment changer de couleur selon leur température corporelle, le tout en trois dimensions, difficile de ne pas admettre le statut unique de la démarche de Baylaucq. « Je voulais aussi créer un endroit abstrait, paysage où le spectateur pourrait entrer. » Le réalisateur d’Ora n’avait jamais travaillé avec la 3D auparavant. Il fait maintenant figure de pionnier, étant donné le petit nombre d’artisans au Québec étant familiers avec cette technologie. « La troisième dimension, c’est de recréer la vision humaine en tâchant de ne pas brusquer le spectateur. Il y a certaines règles à respecter, sinon le public aura mal à la tête », explique Baylaucq. Comme le cerveau doit se concentrer à la fois sur l’action et la convergence des deux images, ça lui prend plus de temps pour s’adapter. Il devient alors important d’instaurer un rythme plus lent dans le montage afin de permettre au spectateur d’assimiler ce qu’il voit.
Philip Szporer, coréalisateur de Corps fugaces : empreinte, avait la volonté de « montrer le corps et le mouvement d’une autre façon en permettant au spectateur d’entrer dans le monde des danseurs. » Cette façon de tourner implique évidemment de réfléchir différemmentaux chorégraphies ainsi qu’à la disposition des caméras et de l’éclairage. Il faut être plus près de l’action, faire attention aux ombres afin qu’elles n’apparaissent pas dans le champ de l’autre caméra. D’une certaine façon, le matériel technique devient à son tour danseur dans la valse du tournage. Pour Marlene Millar, complice de Szporer, c’est une façon complètement différente de faire du cinéma qui redéfinit toute l’approche. Les réalisateurs doivent se creuser la tête pour faire fonctionner une panoplie de caméras sans donner l’impression que leurs effets techniques sont le point central de leur œuvre. Tous s’entendent toutefois pour dire que la 3D n’est pas une révolution, plutôt un outil de plus, comme le suggère le consultant René Villeneuve. « Idéalement, cet outil doit devenir invisible et servir le propos du film. »
Surveillez la parution du dernier volet de ce dossier. Quel est l’avenir de la trois dimensions? À quand la quatrième?