Depuis le 2 février dernier, le projet d’exposition et de performance IndexE de l’artiste multidisciplinaire Sarah Chouinard-Poirier occupe l’espace de la vitrine de TOPO – Laboratoire d’écritures numériques. Invitées à soumettre des textes ayant eu une grande influence sur leurs parcours, cent collaboratrices issues de milieux différents et s’identifiant comme femmes, trans et queer sont réunies autour de ce projet-événement initié par l’artiste.
IndexE s’interroge sur «la place des femmes en littérature en recourant à l’oralité comme lieu de partage et de transmission», peut-on lire dans le communiqué de presse. À l’inverse de cette tristement célèbre liste de livres interdits par l’Église, l’IndexE, mis au féminin, vise plutôt à rendre hommage à la littérature des femmes, des personnes queer et trans et à désoublier, selon les mots de l’artiste, les auteures et leurs œuvres.
Installée dans la vitrine, transformée pour l’occasion en poste de radio, l’artiste offrira un cycle de lecture de trente heures divisées en six jours. Les gens sont invités à venir écouter et regarder la performance sur place dans le corridor du 5445 de Gaspé (devant la vitrine du local 107-B) et à écouter la transmission en direct en baladodiffusion sur le site internet du projet[1], où ils pourront également explorer la bibliographie.
C’est dans l’optique d’en savoir davantage sur le projet et son caractère performatif que j’ai rencontré Sarah Chouinard-Poirier. Il a été d’abord question du lien entre elles est ces collaboratrices, du travail effectué pour entrer en contact avec celles-ci et de l’objectif d’un tel projet.
La communication avec les collaboratrices a été la première pierre posée, me dira-t-elle. Le processus débute aux environs du mois de septembre 2016. Le but est d’inviter des femmes qui l’inspirent, celles qu’elle côtoie au quotidien, au travail ou bien faisant partie de son réseau élargi. Cette liste est subjective, avoue celle qui a voulu approcher des femmes de milieux et de professions différentes, proches ou non, mais pour qui elle porte une affection particulière et qui partagent toutes un lien et un amour pour la littérature. Il y avait cette envie de faire cohabiter sur la même liste les noms de gens qui ne se seraient jamais retrouvés ensemble autrement, de former une communauté d’idées.
Les collaboratrices devaient choisir un texte qui leur était cher, des textes qu’elles aimeraient défendre. Les questions de genre sont naturellement venues à l’artiste. Il est apparu nécessaire d’échapper aux limites du cisgenrisme et d’ouvrir l’invitation à celles se définissant autrement. L’important pour l’artiste est d’abord de montrer l’hégémonie masculine dans la littérature et par le fait même de tenter de briser le plafond de verre.
C’est d’ailleurs l’aberration lorsqu’elle entend qu’il n’y a pas de grandes œuvres écrites par les femmes: «Ce sont souvent des idées préconçues. Seul le regard de l’homme est vu comme globalisant, comme s’ils avaient le vocabulaire universel et que seul celui-ci pouvait parler à tout le monde.»
Le monde ne se construit pas seulement dans le regard de l’homme, comme la littérature des femmes ne s’adresse pas seulement aux femmes. Malgré tout, il existe une iniquité dans la presse et dans la critique, comme le démontrent les recherches de Lori St-Martin, professeure au département de littérature de l’UQAM[2]. Dans un article paru le 29 décembre 2016 dans le Devoir, madame St-Martin dresse le portrait du déséquilibre médiatique entre la littérature des femmes et celle des hommes dans les pages du même quotidien. Dans le but de rétablir la balance, l’artiste érige un index inversé, une liste d’ouvrages qui semblent avoir passé dans les filets asymétriques de ceux qui écrivent l’histoire.
Nous enchaînons ensuite sur les textes des collaboratrices: parmi ces textes figurent, beaucoup d’auteures québécoises, des textes sur la place des femmes dans le monde ou en littérature, des textes lesbiens, un texte de théâtre, des romans graphiques et quelques bandes dessinées. Le format et le type des ouvrages sélectionnés découvrent une grande diversité, ce qui enthousiasme celle qui avait le souci de rendre accessible ce corpus à tous. D’où l’importance de l’oralité dans le projet et du partage par transmission radiophonique. Elle nous le rappelle, une grande part de la population québécoise est analphabète fonctionnelle. Le caractère simultané de la radio est également central, car l’artiste sent dans la possibilité d’écouter le contenu en direct, de n’importe où, un geste de solidarité, un support et une certaine présence. Le côté social des livres y est souligné, il faut les lire, mais aussi en parler. Les collaboratrices auront d’ailleurs l’opportunité d’aller à la rencontre de Sarah pour discuter de leurs choix ou de faire la lecture de ces derniers.
Il a été important pour Sarah de s’éloigner d’une lecture trop rigide. Elle livrera le corpus à travers ce qu’elle découvrira et ce qu’il suscitera simultanément chez elle et chez le public. Faisant place à l’erreur, aux commentaires, à la réflexion et au caractère brut de la lecture, l’artiste se dit curieuse de voir comment se transforme la lecture après deux heures, après cinq heures. Comment lire de la BD, un zine, un roman, un essai rigoureux, du théâtre ou de la poésie. Elle me le répète, elle veut d’abord transmettre. Pas question pour elle de se rendre à l’épuisement, ce n’est pas l’objectif du projet.
Ce projet de Sarah Chouinard-Poirier revêt un caractère relationnel qui se démarque de sa démarche. Ayant plutôt évolué dans le théâtre et l’art action, l’artiste avoue porter un intérêt pour toutes les formes de création artistique. C’est avant tout le projet lui-même qui dicte sa manière de se réaliser. IndexE s’installe sur la durée, voire sur la démesure. Ce projet sur la place des femmes, trans et queer dans la littérature révèle un corpus aussi vaste que riche. Se voyant comme une passeuse entre le public, ses collaboratrices et les auteures choisies, l’artiste admet s’être énormément instruite par le biais de ces échanges.
La deuxième partie du projet performance IndexE de l’artiste Sarah Chouinard-Poirier sera présenté le 9, 10 et 11 février dans la vitrine de l’agence TOPO – Laboratoire d’écritures numériques situé au 5445 avenue de Gaspé, local 107-B. Le public est invité à venir voir et entendre la performance sur place ou sur le site internet du projet.
[2] http://www.ledevoir.com/culture/livres/487983/egalite-des-sexes-le-devoir-d-equite.
Article par Antoine C. Falardeau.