Adib Alkhalidey, humoriste depuis maintenant sept ans, a présenté son premier spectacle solo, Je t’aime, en 2013. Il est présentement en tournée au Québec avec son deuxième solo, Ingénu(e), un spectacle qui fait du bien à l’âme et à la rate. J’ai eu la chance d’aller le voir alors qu’il était de passage au Théâtre Outremont, le 9 novembre dernier.
La première partie du spectacle est assurée par Jason Brokerss, un humoriste français qui commence en nous demandant si nous le connaissons, ce à quoi peu de gens répondent dans la salle. Il nous livre un court numéro, mais très intéressant, dont un sur les douanes canadiennes qui l’ont laissé passer aisément malgré ses allures de terroriste (ses mots, pas les miens). En effet, comme c’est un homme d’origine arabe, aux cheveux noirs comme sa barbe, qui est d’ailleurs assez proéminente, il se serait attendu à être fouillé lors de son premier voyage au Canada. Pourtant, ce n’est que lors de son second passage au Canada qu’il a dû se plier aux exigences des douaniers.
Alkhalidey arrive alors en scène et il se présente comme un humoriste de solutions, ce qu’il nous démontre pendant son spectacle. Il s’inscrit dans la nouvelle génération d’humoristes qui, au lieu de seulement faire des blagues, de choquer et d’être vulgaire, réfléchit le monde et tente de le rendre meilleur. En plus de nous faire remarquer les travers de notre société, Alkhalidey se positionne face à ceux-ci et nous indique comment les modifier.

Notamment, il nous explique comment enrayer le fléau que sont les dick pics. Pour ce faire, il nous replonge en 1996 (il me semble). Dans sa mise en situation, un homme qui décide d’envoyer une photo de son pénis doit d’abord se procurer un appareil photo jetable avec lequel il prend des clichés sans voir le résultat instantanément, comme c’est possible aujourd’hui. Le mystère de la photogénie de sa génitalité plane, jusqu’à ce qu’il fasse développer les négatifs chez Jean Coutu. Alkhalidey plaint alors la pauvre technicienne du laboratoire photo qui aura le choc de sa vie en révélant les images dudit monsieur. Alkhalidey nous fait ainsi prendre conscience que personne n’oserait faire ça de nos jours, sachant qu’il y a des intermédiaires entre la prise de la photo et le moment où elle est acheminée à la personne «convoitée». Alkhalidey nous demande alors de garder cette histoire en tête avant d’envoyer une photo vulgaire au lieu d’un simple bonjour.
Alkhalidey trace également un parallèle entre Facebook et son propre salon. Il y invite les gens qu’il apprécie et s’attend à ce que ses invités soient respectueux de son environnement. Pourtant, certaines personnes partagent des babioles ou règlent des comptes sur Facebook, ce qui est très désagréable pour ceux qui ne sont pas concernés. Alkhalidey nous illustre par la présente que nous devrions toujours agir sur les réseaux sociaux comme nous agirions lorsque nous sommes reçus chez quelqu’un (encore faut-il savoir vivre chez une tierce personne).
En outre, Alkhalidey se positionne par rapport au racisme, puisant dans ses souvenirs de cours de morale pour nous le prouver. Son enseignante, voulant interrompre une querelle entre deux enfants d’origines différentes, leur explique que si elle les éventrerait tous les deux, elle donnerait à voir leurs organes roses. C’est par cette image, crue, disons-le, que la pédagogue réussit à taire le racisme ambiant.
Non seulement Alkhalidey est sensible, intellectuel, mais il est également très articulé dans l’illustration des enjeux dont il nous parle, en plus d’être très touchant par sa gestuelle. Les personnages qu’il incarne sont très vivants, drôles et nous transportent avec lui dans son imaginaire éclaté. Se promenant entre les personnages féminins et masculins, Alkhalidey nous démontre toute la fluidité que peut avoir le genre. D’ailleurs, il nous incombe de ne pas nous moquer de lui lorsqu’il se fâche, puisqu’il devient très efféminé. D’une énergie sans pareil, il va jusqu’au bout des jeux qu’il invente et même plus loin encore, nous disant qu’il ne peut s’empêcher de continuer.
Il s’agit d’un spectacle d’humour qui me semble extrêmement nécessaire dans la société actuelle, puisque l’humoriste nous fait réfléchir, mais surtout, nous invite à changer nos comportements. Adid Alkhalidey est hilarant et nous donne envie d’être son public pour la vie, une proposition qu’il fait au début du spectacle en nous expliquant qu’il finirait ainsi par savoir comment nous faire rire du premier coup.
Ingénu(e) était présenté au Théâtre Outremont le 9 novembre 2017. Adib Alkhalidey était en tournée à travers le Québec jusqu’au 16 décembre 2017.
Article par Anne-Marie Spénard – Issue du baccalauréat en Études théâtrales à l’École supérieure de théâtre, Anne-Marie est aussi passée par les Women’s Studies à Concordia . Elle entretient une légère obsession pour la question des genres, la musique et la mer.