Le 16mm était à l’honneur vendredi soir aux RVCQ, avec la projection spéciale de Inni, long-métrage documentaire de Vincent Morisset sur le groupe Islandais Sigur Ros, précédé du court-métrage Trains,Volcano, Fisherman de Tokutaro Shimoda.
Documentaire contemplatif, le court métrage Tokutaro Shimoda se veut une exploration fragmentaire, simple et honnête, sur trois lieux distincts du paysage japonais; exploration qui passe notamment par le biais de la conception sonore. C’est d’abord dans une ambiance légèrement étouffante, confinée dans un petit appartement, que l’on entend au loin les premiers trains qui s’approchent. Ce n’est qu’une fois dehors que l’on réalise le caractère imposant de ceux-ci, sillonnant les banlieues à toute vitesse. Fait surprenant, les êtres humains sont quasi absents de cette première partie et le seront davantage dans la deuxième, où, peu à peu, le mouvement ferroviaire laisse place à l’immobilisme des montagnes. Laissant de côté les trains, la deuxième partie apparaît en opposition totale avec la première. C’est alors le calme qui prend toute la place. Sorte de symbiose des deux précédentes, la troisième et dernière partie, celle du pêcheur, nous présente alors pour la première fois du film, l’humain en interaction directe avec son environnement; dans ce cas précis, par le travail de la pêche. Il faut saluer ici l’audace d’avoir utilisé le 16mm, qui, par son look vieillot, donne vie à cet exercice d’observation du réel.
Ce fut finalement sur le retour tant attendu d’Inni de Vincent Morisset que se poursuivit la soirée. On connaît Morisset pour son travail avec Arcade Fire. C’est notamment à lui que l’on doit la réalisation du documentaire Miroir Noir sur le groupe montréalais, de même que le clip interactif basé sur la chanson Sprawl II. C’est d’ailleurs à travers son expérience avec Arcade Fire que Morisset a tourné les deux derniers spectacles de Sigur Ros à Londres en 2008, qui, notons-le, n’est jamais remonté sur scène depuis. Or, c’est sur ce point précis, à savoir cette trace visuelle, peut-être la dernière qui restera du groupe islandais en spectacle, que s’articule le film. D’un point de vue visuel, dans sa composition des cadrages de caméra, émane une certaine intimité, mais surtout une profonde nostalgie avec le groupe qui transparaît, entre autres, par le rendu de la pellicule noir et blanc. Lors de la discussion qui a suivi la projection, le réalisateur a expliqué comment le film avait été tourné au préalable en numérique, puis de quelle manière une fois le montage terminé, Stéphane Lafleur (monteur du film) et lui-même ont installé une caméra Aaton au-dessus de l’écran d’ordinateur pour effectuer le transfert vers la pellicule 16mm. Les vitesses de défilement d’images des deux supports (numérique et pellicule) étant d’emblée incompatibles, il en résulte un effet stroboscopique involontaire, voire un léger frétillement propre aux premières expérimentations du cinéma. De cette esthétique par défaut, naît un charmant asynchronisme entre musique et images ; asynchronisme qui fait part également d’une certaine intemporalité propre au concept du film qui se veut volontairement altéré visuellement. Manifestement, c’est aussi par la surface vaporeuse des images que l’œuvre nous éblouit. Au-delà des expérimentations proposées dans la texture et le mouvement de l’image, nous assistons avec Inni à un jeu d’interactions de la lumière avec le spectateur. Autant cette lumière provenant des projecteurs sur scène, peut nous éblouir, autant celle-ci peut se cacher derrière le groupe et ne découper que le contour de leur silhouette. La comparaison avec le théâtre d’ombres chinoises se fait d’elle-même.
La beauté du film tient de sa mise en scène, à l’inverse de plusieurs documentaires du genre, chaque pièce musicale possède une réalisation particulière et réfléchie. Il ne s’agit pas là d’enchaînements aléatoires de prises de vues. De la même manière, chacune des pièces est précédée de courts extraits expérimentaux distincts et propres, réalisés à l’aide d’objets et différents procédés de déformation à même le projecteur pendant que le transfert de la copie numérique finale; encore une fois, on pousse ici les limites d’expérimentations avec les ombres. Or, si le film parvient à cette progression de scène en scène, c’est notamment grâce au montage qui, comme la musique de Sigur Ros, se donne le luxe de faire vivre la durée de certains moments sans pour autant en faire un usage abusif. Un peu à la manière du documentaire de Douglas Gordon et Philippe Parreno sur Zidane, Zidane un portrait du 21e siècle, Inni nous confit, par sa conception de l’espace et son choix de prise de vue, à un lieu relativement petit, qui dans ce cas-ci se limite à la scène où se produit le groupe, et ce en faisait presque totalement abstraction du public.
La réussite d’Inni réside dans sa poésie visuelle et sa contemplation assumée, qui permettent cette immersion unique dans l’univers du groupe. Le cinéma, ici, est au service de la musique et non le contraire. Quand l’on demande à Vincent Morisset quels seront les prochains groupes qu’il aimerait filmer, ce dernier demeure plutôt discret, avouant cependant envier la réalisation de projets de nature différente. Quels que soient ses projets à venir, il en demeure que l’approche singulière de Vincent Morisset fait de lui un cinéaste à surveiller.
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Trains – Volcano – Fisherman
Tokutaro Shimoda HD / 00h14m45s / coul / 2011 / V.O. : sans dialogue
INNI
Vincent Morisset HD / 01h15m00s / nb_coul / 2011 / V.O. : anglais, icelandais
Article par Matthew Wolkow.