« La consommation comme passe-temps, un couple stérile pour abri, des séries apocalyptiques pour rêver la fin de mon univers et l’odeur de fumée des grands feux pour tout anéantir[1]. »
La nuit, Marie rêve de fumée, de grands feux de forêt, de destruction massive. Elle n’écoute plus que des séries qui concernent les catastrophes naturelles. Est-ce un signe que son petit univers tombera sous peu en miettes ? Que toutes ses convictions seront chose du passé ?
La nouvelle œuvre d’Alexandra Gilbert, Obsolète, entraine les lecteur·ice·s dans les embrouilles, les contradictions et la maladresse. Tout comme dans son premier roman, Gourganes, l’autrice fait ressurgir une multitude d’émotions. Ses récits mettent en scène des protagonistes qui entretiennent des relations conflictuelles avec un parent, relations qui affectent davantage leur mode de vie que ce qu’iels ne veulent l’admettre. Les personnages font face à la fois à des conflits internes et à l’anéantissement de leur quotidien.
Dans Obsolète, Marie se retrouve orpheline à la suite de la mort de son père, sa mère étant décédée alors qu’elle était en bas âge. Son père, Jean-Claude, est un homme de peu de mots. Étant très introverti, il développe une passion pour les antiquités. Émerveillé par le passé des meubles et des objets, il se met à les collectionner, y enfouissant du même coup les émotions que lui fait vivre son deuil. Les antiquités prennent alors une place immense dans sa vie, à un point tel que Marie a l’impression que son père possède plus d’amour pour celles-ci que pour elle. D’année en année, la présence des antiquités dans la vie de Jean-Claude l’éloigne de sa fille. Sans parler de leur incompatibilité de consommation – Marie accumule les meubles modernes, ce qu’il juge irresponsable – qui ne fait qu’aggraver les choses. Toutefois, Marie n’a d’autre choix que de pénétrer dans l’antre de son père lorsqu’il lui laisse pour seul testament une étrange mission. La protagoniste replonge alors dans toutes les vieilleries que son père a accumulées en courant le patrimoine, et tous ses souvenirs refont surface.
Dans son roman, Alexandra Gilbert utilise « le retour à la maison comme déclencheur d’une prise de conscience[2] ». Celle-ci offre une réflexion sur la surconsommation et ses conséquences sur l’environnement. Pour faire la lumière sur ces enjeux, l’autrice entoure Marie de personnages caricaturaux, ce qui lui vaudra d’ailleurs quelques critiques négatives. Toutefois, les clichés du patenteux, du survivaliste et du technophile amplifient la nécessité urgente d’agir sur ce mode de consommation problématique. En effet, celui-ci entraine les gens à acheter non seulement sans réfléchir à l’impact écologique, mais aussi sans considérer l’histoire que contiennent ces objets. En lui léguant ses antiquités, Jean-Claude espère que sa fille daignera accorder plus d’attention à la provenance de ses achats. Ces personnages incitent aussi les lecteur·ice·s à méditer sur leur propre rapport à la consommation.
L’autrice réussit aussi à faire passer son message à travers la relation père-fille compliquée qu’entretiennent Marie et son père. Même si Jean-Claude tente tant bien que mal de démontrer à sa fille qu’il l’aime en lui transmettant sa passion, la protagoniste s’en retrouve plutôt étouffée. Leur relation est maladroite, ce qui rend le deuil d’autant plus difficile pour Marie. Elle arrive toutefois à comprendre qu’en les retapant, son père redonnait la vie à ces meubles, à défaut d’avoir pu le faire pour sa femme. C’est un récit bouleversant rempli de tendresse et de malentendus.
[1] Alexandra Gilbert, Obsolète, Montréal, Stanké, 2022, p. 162.
[2] Stanké, Alexandra Gilbert, en ligne, < https://editionsstanke.groupelivre.com/blogs/auteurs/alexandra-gilbert-gilb1034 >, consulté le 23 janvier 2023.
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Gilbert, Alexandra, Obsolète, Montréal, Stanké, 2022, 232 p.
Stanké, Alexandra Gilbert, en ligne,< https://editionsstanke.groupelivre.com/blogs/auteurs /alexandra-gilbert-gilb1034 >, consulté le 23 janvier 2023.