Les 3 et 4 mai s’est tenue la troisième édition du colloque Femmes Ingouvernables à l’UQAM. Cette troisième édition conclut la trilogie de colloques féministes, amorcée en 2016 par Fanie Demeule et Joyce Baker, toutes deux doctorantes à l’UQAM. Après le premier colloque, plus général, visant à (re)penser l’irrévérence féminine dans l’imaginaire populaire contemporain, puis le deuxième analysant corps et communauté (les deux sujets continuant d’habiter l’édition 2018), le dernier a investi les postures créatrices à l’œuvre chez les femmes ingouvernables.
Si de petites lucioles viennent éclairer les ténèbres contemporaines depuis plusieurs décennies – figure empruntée à Georges Didi-Huberman dans La survivance des lucioles (2009) et citée à quelques reprises au cours des colloques –, leur très forte présence, qui se manifeste à travers cette diversité de personnages féminins qu’on retrouve à l’intérieur des différents médiums, rend ces journées de réflexion et de partage entièrement pertinentes. Explorant la multidisciplinarité des lieux de création (performance, danse, bande dessinée, roman, série télévisée, théâtre, etc.), le colloque réfléchit comment peuvent se développer ces espaces de résistance au système patriarcal et à la prédominance accordée aux auteurs masculins dans l’espace médiatique (à travers la transgression et la subjectivation).
Merveilleusement orchestré, le colloque enchaine les communications, dont la forme souvent hybride conjugue la rigueur universitaire et la singularité des participantes[i] – singularité est d’ailleurs le mot qui est sans doute revenu le plus fréquemment chez les intervenantes au cours des deux journées. La création est un processus personnel qui change en fonction de chaque auteure. Les présentations des participantes ont été marquées par cette expression de leur individualité: Juliette Pottier Plaziat a fait lever l’ensemble du public et lui a proposé d’explorer son corps par une série de mouvements, exécutées les yeux clos; durant la dernière présentation, les six femmes se sont assises spontanément sur les tables, face à nous. Ce qui n’a nullement empêché le colloque d’ouvrir un vaste espace de discussion dans lequel les idées ont pu dialoguer (les éventuels désaccords permettant, de façon générale, de raffiner sa propre pensée et d’accéder à d’autres expériences subjectives).
Femmes Ingouvernables donne une place aux voix des femmes, qui viennent exprimer quelques unes de ses singularités manquant encore de visibilité, mais refusant de se laisser oublier, résistant pour exister pleinement. La force des deux lectures (durant les premières présentations de chaque journée, soit celle de l’artiste Marie Darsigny et celle d’Ariane Bourget sur la figure mythique de la Rusalka) a permis d’inscrire dans le présent de l’événement la puissance de la création. À travers les communications, les participantes ont su montrer comment les auteures passées laissent, à travers leur œuvre, des traces qui peuvent devenir des legs pour les prochaines créatrices et être réactualisées (en analysant leur atemporalité ou en observant leur résurgence dans un nouveau médium; par exemple, The Handmaid’s Tale (1985) de Margaret Atwood ayant donné lieu à une série télévisée (2017- ) dont a parlé la professeure et chercheuse Sylvie Vartian).
Outre les quelques présentations écrites à quatre mains et présentées à deux voix (celles d’Annie Gaudet et de Marie-Pier Lafontaine sur la construction d’une communauté dans The OA (2016) de Brit Marling et Zal Batmanglij, et de Gabrielle Doré et de Jennifer Bélanger sur les corps malades, abordant entre autres la deuxième saison de Jessica Jones (2018) de Melissa Rosenberg et La démangeaison (1994) de Laurence Nobécourt), les deux journées se sont habilement conclues avec des chœurs formés de plusieurs femmes. La première journée, les trois auteures Marie-Claude Garneau, Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent sont venues présenter leur ouvrage La Coalition de la Robe, revenant sur leur parcours de pionnières et la place des femmes dans le théâtre québécois. La seconde journée, les doctorantes Sandrine Galand et Maude Lafleur, avec leurs collègues Soline Asselin, Jennifer Bélanger, Gabrielle Doré, Gabrielle Giasson-Dulude, ont lu des passages de leurs échanges épistolaires autour de six thèmes féministes (trouver sa voie aux cycles supérieurs, l’influence de sa mythologie personnelle, le quotidien, l’amour, l’amitié et la sororité).
La conférence de Sandrine et Maude, illustrant la puissance de l’écriture et de la
Source: Page Facebook de Sandrine Galand
Durant les deux journées, une complicité a uni les participantes. Le colloque est devenu un lieu idéal pour partager ces expériences intimes liées à la création et à l’Art en général. Parce que si on a souvent déclaré, à tort bien entendu, que le féminisme se construit sur la haine des hommes, c’est au contraire une pensée qui refusent de réduire une personne à sa différence et qui tente d’éviter toutes forme d’exclusion en favorisant les rencontres et les discussions dans lesquelles tout le monde peut prendre part et s’exprimer pleinement[ii]. Le colloque possède ainsi une dimension «méta» dans la mesure où les intervenantes ont certes discuté de plusieurs exemples de créations concrètes, mais ont également su montrer de nouvelles façons de produire des œuvres à l’intérieur même du colloque (notamment en conjuguant leurs voix), ce qui avait déjà été commencé lors des deux précédentes éditions. Au final, être femmes ingouvernables, c’est pouvoir exister pleinement, dans toute sa singularité et la visibilité de sa créativité, mais aussi pouvoir se réunir et vivre ensemble !
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Colloque Femmes Ingouvernables: postures créatrices
3 et 4 mai 2018
Les communications seront prochainement disponibles sur le site de l’OIC (Observatoire de l’imaginaire contemporain).
[i] L’usage du féminin sera utilisé pour alléger le texte (parce que la majorité des intervenant.es étaient des femmes et que le travail d’égalité commence souvent par la langue).
[ii] La troisième vague de féminisme réfléchit aux luttes intersectionnelles – dans lesquelles deux régimes d’oppression surviennent (par exemple, être une femme et être une personne racisée).
Article par André-Philippe Lapointe.