Thursday

15-05-2025 Vol 19

Le crédit par le prisme des arts. La dette de Dieu de Jean-François Boisvenue

Imaginez une parodie de la Genèse où Dieu, plein d’idées, mais à court, se voit obligé d’emprunter au diable pour achever son ouvrage, et voilà toute la création prise aux affres de la dette. Vous avez là la scène d’ouverture de La dette de Dieu, le premier essai poético-politique de la compagnie La nuit/le bruit, récemment créée par Jean-François Boisvenue et Claire Renaud.

Point de fable dans cette création hybride où l’interprète Jean-François Boisvenue enchaîne jeu théâtral, chorégraphie, conférence, chanson rock, poésie et projection de documentaire à un rythme soutenu.

Pendant un peu plus d’une heure, on rit, on réfléchit, on apprend et on songe sur le thème universel de la dette, le-sujet-qu’on-connait-tous-mais-dont-on-ne-sait-rien. Soucieux de notre bonne compréhension, l’auteur prend le temps d’exposer les bases du système bancaire dans un louable et réussi effort de pédagogie. On peut toutefois reprocher à cet exposé de s’apparenter à un cours dénué d’intérêt théâtral.

Les thèmes de la confiance, de l’équilibre et du désir de possession sont abordés de façon imagée. Par exemple, l’artiste raconte la crise financière de 2008 à l’aide d’une métaphore aquatique saisissante, voire apocalyptique.

Inspiré, le comédien réalise une chorégraphie sur l’équilibre en même temps que sa voix enregistrée relate l’espoir de l’an 2000 après la ceinture serrée des années 1990.

La dette de Dieu. Crédit photo: Gopesa Paquette

L’interprète noue un véritable dialogue avec son public, à qui il s’adresse directement à plusieurs reprises, lui demandant même si d’après lui, à la lumière des notions expliquées, il devrait rembourser ses dettes d’études ou pas.

Le comédien réalise une mise en abyme en se plaçant sur le côté de la scène pendant la projection d’images d’archives de RDI Canada, qui évoquent la crise financière et l’enrichissement fulgurant de quelques-uns (dont un certain George Soros, milliardaire influent de la scène internationale).

Les monologues alternés d’un chef de famille désespéré par l’endettement et d’un financier faisant fortune fournissent une illustration poignante des effets pervers du crédit. Pour incarner ces opposés, le comédien change de ton et de position, tour à tour face et dos au public.

La dette de Dieu. Crédit photo: Gopesa Paquette

L’auteur et son équipe n’ont pas lésiné sur les recherches et le spectateur ressort probablement plus instruit sur les mécanismes de la dette. Gage de crédit, la participation de la chercheuse à l’institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) Julia Posca. Par le documentaire et le témoignage, Jean-François Boisvenue livre une chronique portant sur le crédit au Québec et son impact sur le quotidien du peuple. Grandes et petites histoires sont ainsi habilement articulées.

Du point de vue de la forme, on apprécie l’équilibre entre les parties à dominante informationnelle et parties à dominante artistique.

En fin de compte, on salue l’œuvre artistique tout autant que l’œuvre citoyenne. Hélas, le social reste un terrain peu usité par les artistes. Ils ont pourtant là une carte à jouer, la classe politique l’ayant abandonnée depuis un bout. À contre-courant, la compagnie La nuit/le bruit annonce deux autres spectacles sur des thèmes sociaux, politiques et économiques, dans le but avoué de réveiller et de questionner leurs semblables. La recette? Livrer en un langage théâtral interdisciplinaire les résultats de recherches documentaires. Original et réussi! Une compagnie est née.

La dette de Dieu était présenté au théâtre La Chapelle du 9 au 13 avril 2018.

Article par Magali Balles.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM