Monday

19-05-2025 Vol 19

La femme-révolution

Pol Pelletier est une incontournable du théâtre féministe québécois et du théâtre tout court. Ses spectacles (et ses déclarations polémiques) ont fait d’elle une véritable figure de proue du mouvement féministe et des luttes sociales. Très près de ses émotions, constamment à l’écoute de son corps, elle est reconnue pour l’intensité et l’énergie qu’elle déploie. Pour avoir autrefois participé à l’un de ses courts ateliers offerts dans le cadre de l’École d’été de l’Institut du Nouveau Monde, je peux vous certifier que sa présence n’est pas un mythe. Pol joue, Pol écrit, Pol réfléchit et Pol ressent. Peut-être encore un peu plus depuis un certain temps. Depuis qu’elle s’est mise dans la tête d’investir toutes ses forces dans le combat face à la décrépitude de la société québécoise. Depuis qu’elle n’est plus une artiste, mais une « héroïne ». Elle appelait le Printemps Érable depuis le début de sa vie. Combattre seul est épuisant. Mais depuis que les étudiants se sont levés, l’« héroïne » est devenue frénétique. Afin qu’ils ne retournent pas dans le silence et la résignation, elle a décidé de « devenir une révolution » pour un mois. Au lieu de prendre la Bastille, elle occupera l’Église de Sainte-Brigide-de-Kildare. À chacun sa révolution.

Pol Pelletier

L’Artichaut : Vous allez être très active prochainement. Je dirais même hyperactive! Pouvez-vous nous résumer en quoi consiste la série d’évènements Je suis une révolution et plus particulièrement, votre nouveau spectacle La robe blanche?

Pol Pelletier : Ce spectacle vient des tréfonds de ma nature profonde. Il vient aussi de la passion que j’ai pour ce qui s’est passé le printemps dernier au Québec. Vous savez, j’ai depuis longtemps l’impression que le peuple québécois est en train de se suicider. Il agonise depuis un bon moment déjà. Au printemps dernier, il a eu un dernier sursaut et a décidé que ce n’était pas encore fini. Il y a eu cette intuition chez ces jeunes, l’intuition d’un Nouveau Monde. Vous savez, c’est très rare de pouvoir faire durer une lutte sociale aussi longtemps. À mon avis, c’est parce que l’inconscient collectif les soutient, il se sent prêt à embarquer dans une vraie révolution.

J’ai choisi ce titre pour provoquer une question chez chacun : Suis-je une révolution? C’est énorme, c’est ambitieux! Notre peuple détruit depuis 15 ans tous les lieux de parole. Il y a présentement une absence de parole. Les théâtres sont devenus des lieux de statu quo. Il n’y a plus beaucoup de temps pour la parole transformante et pertinente. L’ancien Quat’sous mis à terre, des dizaines de chapelles historiques ont brulées sans que personne ne dise rien. L’église où je vais jouer est un immense espace qui appelle le théâtre! Et croyez-moi, je sais reconnaître un lieu de parole, je le sens!

Pour ce nouveau spectacle, je ne remercie aucune institution financière, je n’ai reçu aucune subvention. J’ai travaillé avec une armée de bénévoles, j’ai tout payé de ma poche. C’est encore possible et je pense qu’il y a encore des gens qui ont cette ferveur! Mais qu’est-ce que c’est ce Nouveau Monde? Ça va être complètement fou. Il y va y avoir des animaux partout dans l’église. Des oies, des canards, comme au moyen-âge, au temps du théâtre populaire. Il y aura aussi du fromage et du pain, vendu par des artisans. Je veux montrer qu’il est encore possible d’être humain de façon très sauvage! Les prix sont très avantageux, vous ne trouverez ça nulle part ailleurs! Vous apportez vos coussins, vos chaises pliantes, vous pourrez vous acheter à manger, jouer!

Mais attend, je n’ai pas encore parlé de La robe blanche, hein? (Elle éclate de rire, puis reprend). Une fois que j’aurai joué ça, j’aurai tout joué. Je pourrai mourir en paix. Il y a eu une répétition publique, hier, c’était fantastique! Vous savez, dans cette église, il y a un orgue qui vaut près de deux millions de dollars. Mille tuyaux d’orgue comme ça, ça a la force d’un orchestre symphonique! Après ce spectacle, ils vont mettre la hache dedans pour le revendre à un gars de l’Ontario qui va lui-même le vendre, tuyau par tuyau. Ce spectacle est une alerte. Il y a une joie immense à le faire, à travailler dans cette urgence. Il y a un moment où les gens vont devoir se rendre compte qu’un trésor, ce n’est pas de l’argent. En ce moment, j’ai l’impression que le monde est tellement petit, chacun collé sur son écran. Rentrer dans une église, c’est rentrer à l’intérieur de soi et aller voir au fond ce qu’il y a vraiment. C’est un grand voyage à l’intérieur de soi. Je suis une révolution, ça va être la plus grande et la plus totale aventure théâtrale de ma vie. C’est la plus libre, ça donne le goût d’être libre, de se réapproprier nos trésors collectifs. Moi je ne veux pas que le mouvement étudiant retourne dans la résignation. Notre société, en ce moment, est réduite à être moins que ce qu’elle est vraiment.

La robe blanche, c’est ma dernière œuvre et elle n’a pas encore été vue à Montréal. C’est mon œuvre la plus courageuse, ma définition personnelle d’une révolution. Un monde où plus personne ne ment, où tout le monde dit la vérité tout le temps. Je suis persuadé que c’est comme ça que toute structure corrompue s’effondrerait d’elle-même. Moi je ne suis plus capable de faire semblant, de voler, de mentir. Je veux aller au fond de la vérité et dire les choses complètement.

En plus de tout ça, je vais faire plusieurs autres évènements en décembre. Je vais faire renaître des femmes mortes, les 14 femmes de Polytechnique, dans 14 femmes rapatriées. Il faut réussir à convaincre les jeunes femmes et les jeunes hommes d’avoir une parole forte et courageuse. Je veux leur montrer ce que l’on a fait autrefois, à quel point on a été audacieuses et qu’on allait loin dans la recherche d’un Nouveau Monde.

L’Artichaut : Ce n’est pas la première fois que vous organisez un événement aussi ambitieux. Au dernier festival Transamérique, vous aviez organisé un événement similaire par sa forme spontanée. Comment cela s’est-il passé?

Pol Pelletier : Ah, ça a été extraordinaire! J’ai joué quatre fois. Chaque soir, j’avais décidé d’offrir un cadeau révolutionnaire à mon peuple. Après le spectacle, j’offrais ce cadeau gratuit aux gens qui décidaient de rester. Tous les soirs c’était une nouvelle surprise et presque tout le monde restait! Je suis une vraie sauvage, j’aime la liberté! C’était intéressant parce qu’il y avait quelque chose dans l’air que l’on ne sent plus dans les théâtres. C’était un peu comme quand j’étais un enfant, la même innocence, le même saut dans l’inconnu. Comme c’était gratuit, il y avait un genre de convivialité, on bougeait d’un bord à l’autre de l’église. Il y avait cette circularité, cette rondeur, essentielle au théâtre. Comme pour Je suis une révolution, on avait installé une cantine du peuple, on vendait du vin. C’était comme un gros boui-boui dans cette immense église. Les gens ne partaient plus. J’avais fait venir Jean-Jacques Dubois. Un homme trop puissant, que l’on n’entend pas assez. Avec lui, on a discuté de quelle révolution on voulait, d’où on s’en allait. C’était bouleversant! Il revient le 2 décembre. Cette fois-ci, on va parler de l’importance du féminin dans une révolution. Le féminin ce n’est pas juste dans les femmes, c’est dans tous. C’est l’ouverture et la réceptivité. Il faut travailler avec ces nouveaux organes de perception. Il faut le faire avant que tout ne soit détruit et que l’on devienne complètement fous!

L’Artichaut : La robe blanche traitera de l’identité québécoise. Comment définissez-vous celle-ci?

Pol Pelletier : Ce qui caractérise le peuple québécois, c’est la honte. Nous sommes un peuple qui a beaucoup de difficulté à accepter son existence. En contrepartie, nous possédons une très grande originalité que je n’ai rencontrée nulle part ailleurs. Nous avons été très cassés, nous ne sommes pas certains de vouloir vivre. Nous sommes aussi, à mon avis, le peuple qui a le plus de féminin en lui. Mais notre aspect le plus fort, c’est la bonté, la bonté naturelle. C’est pour ça que j’ai encore de l’espoir. Notre premier réflexe est la bonté plutôt que la violence. Nous sommes extrêmement avant-gardistes et innovateurs. Nous sommes encore des coureurs et coureuses des bois, un peuple mélangé, métis. Le fait d’être mélangé avec ce que l’on appelait les sauvages nous a donné notre originalité. Il y a quelque chose qui fait que l’on se distingue des Français, dans notre littérature, par exemple. Ma plus grande fierté est d’être mélangée avec les autochtones. Je porte en moi l’intuition d’un monde plus féminin et je ne suis pas certaine que ce serait le cas si j’étais née ailleurs. Nous sommes un peuple qui a connu des femmes très puissantes, mais depuis 20 ans, on tue ces femmes. On commence donc à se tuer nous-mêmes, en tant que peuple. Je cherche encore ce qui s’est cassé dans les années 1980 et qui fait que nous n’arrivons plus à retrouver cet élan sauvage. On va en parler en décembre et j’espère qu’il y aura plein de monde pour poser des questions. Hier soir (14 novembre 2012), à la répétition générale, c’était ouvert au public et c’était fabuleux. Il y a eu près de 150 personnes et nous avons reçu des commentaires exceptionnels.

L’Artichaut : Avec l’évènement Je suis une révolution, vous avez l’intention de faire renaître le théâtre populaire. Dans quelle mesure votre démarche s’apparente à celle de Jean Vilar, du Théâtre national populaire et du festival d’Avignon des années 50?

Pol Pelletier :
Ça ne m’a pas influencé directement. Ce mouvement a effectivement été d’une importance capitale pour la France. Vilar a beaucoup fait pour la démocratisation de la culture. Mais moi, je suis une sauvage! La France n’est pas mon monde! Je trouve le moyen-âge, plus inspirant, moins sophistiqué. En fait, c’est la même chose que chez les Grecs, ça se passait dehors. Une église c’est vaste, tout le monde se voit. Au théâtre, en rang les uns derrière les autres, il y a quelque chose du voyeurisme. Comme de regarder par le trou d’une serrure ou une cabine d’un truc porno. Je ne suis pas une femme moderne du tout. J’aime sentir mon corps dans l’espace. Sentir le relief des corps qui se détachent et reculent. Les Grecs faisaient ça en rond, c’est ça que je veux faire. Comme je le disais tantôt, la circularité est fondamentale au théâtre. Il faut que l’on puisse voir le public d’un bord à l’autre. Que l’on voit pleurer ou rire ses camarades. Être dans la collectivité. Ça, on ne l’a presque plus. Un peu comme dans les concerts rock quand on était plus jeune. Le volume était tellement fort que l’on devenait hystériques, on se sentait comme la part d’un tout. Maintenant, je veux reproduire ce sentiment, me sentir totalement libre, sans agresser mes sens.

L’Artichaut : Vous venez tout juste de parler de démocratisation de la culture, opérée en France par Jean Vilar. À votre avis, avons-nous eu droit, au Québec, à ce genre de processus?

Pol Pelletier : Il y a eu une amorce dans les années 1970, mais ça ne s’est pas complété. À cette époque, il y avait une prolifération de petits lieux de théâtre. Uniquement dans le Vieux-Montréal, il y en avait quatre. Tu passais par un fond de ruelle et tu te ramassais dans une place bizarre avec des colonnes en bois. Il y avait pas mal de cafés-théâtres où tu pouvais boire une bière en regardant un spectacle à deux piastres. Un jour, je vais faire un spectacle sur ça. Pour montrer aux jeunes toute la liberté que l’on avait à l’époque. Aujourd’hui, on ne pense plus de la même façon. L’économie suit l’humain. L’humain a changé, l’économie aussi. Nous ne sommes pas obligés de consommer autant. Nous pouvons être plus libres et indépendants. Je ne vais plus du tout au théâtre. Ces lieux n’ont plus aucune envergure. Ces endroits ne sont plus conçus avec des matières nobles. Il n’y a pas de résonnance. Les théâtres en plastique et en métal coutent moins cher. Par contre, ces théâtres ont 500 spots. Vous allez voir qu’avec seulement 10 spots, on peut faire quelque chose d’extraordinaire. En ce moment, les théâtres ne jouent pas leur rôle, ils ne provoquent pas, ne dérangent pas. C’est sage, sage, sage! Mais quand les gens viennent me voir, ils sentent que quelque chose peut se passer. Il y a une ferveur et une foi gigantesque. Il ne faut pas délaisser la fragilité, la possibilité. Je comprends qu’il est difficile de changer en ce moment, avec le pouvoir de l’argent, la puissance des médias. Mais il faut continuer de s’opposer et de créer, avec toute la ferveur qu’il nous reste!
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Je suis une révolution se tient du 14 novembre au 10 décembre, tous les jours à l’Église Sainte-Brigide-de-Kildare (1155, Alexandre-de-Sève). La robe blanche sera présentée du 21 au 24 novembre. Pour toute information supplémentaire sur les prochains spectacles de Pol Pelletier, consultez le site www.polpelletier.com

Thomas Dupont-Buist

Jadis sous les projecteurs, il lui aura fallu un certain temps pour se rendre compte que l’on était finalement bien mieux parmi le public, à regarder le talent s’épanouir. Un chantre des arts de la scène qui aime se dire que la vie ne prend tout son sens que lorsqu’elle a été écrite.