[L]iées les unes aux autres depuis nos lits-terreaux où prendre racine, croître au rythme des agendas rayés, des courriels envoyés à la dernière minute pouvons-nous reporter s’il vous plaît, sans préciser de date car nous ignorons quand le brouillard se dissipera, si l’énergie reviendra et dans combien de temps nous serons de retour auprès de vous[1]
Martine Delvaux (Thelma, Louise et moi, 2018; Le boys club, 2020) et Jennifer Bélanger (Menthol, 2020) signent conjointement Les allongées, qui sortira cet automne aux éditions Héliotrope. Les autrices partagent plusieurs choses : elles publient au sein de la même maison d’édition, ont un parcours en études littéraires et en études féministes et souffrent toutes deux de douleurs chroniques. C’est ce dernier élément qui les rassemble pour écrire ce livre. Devant les maux, elles se sont allongées pour poser les mots sur le papier ; c’est dans cette posture qu’elles ont plongé dans leurs expériences personnelles et celles d’autres fxmmes[2] qui ont dû, comme elles, se coucher. Par ailleurs, ce n’est pas la première fois que Jennifer Bélanger s’intéresse à la souffrance dans sa pratique d’écriture, son précédent roman mettait en scène une femme également aux prises avec des douleurs chroniques.
Les autrices explorent les raisons qui mènent les fxmmes à s’allonger et les conditions de vie ainsi que les conséquences qui résultent de cette position. Le patriarcat, les agressions sexuelles, la violence conjugale, la dépression, la ménopause, l’endométriose, le cancer du sein ou encore les douleurs reliées à la grossesse ne sont que quelques exemples de ce qui poussent les fxmmes à se recroqueviller dans leur lit et sur elles-mêmes mis de l’avant dans Les allongées. Martine Delvaux et Jennifer Bélanger font l’éloge de la résilience des allongées. Pour elles, il s’agit de leur plus grand talent[3]. Le texte, entre l’essai et le recueil de nouvelles, prend la forme d’une énumération par points de plusieurs paragraphes. D’ailleurs, l’absence de majuscules et de points de ponctuation contribue à cet effet de liste, comme une suite d’évènements interreliés. De nombreuses références à des œuvres littéraires et cinématographiques sont faites ainsi qu’à des articles et des histoires bien connues. Le livre donne les ressources nécessaires aux lecteur·ice·s qui souhaitent en apprendre davantage sur les conditions mentionnées plus tôt.
En peu de pages, les autrices arrivent à offrir un livre qui a le pouvoir d’émouvoir et qui crée un sentiment de fierté pour ces fxmmes qui continuent de se battre, même si elles n’arrivent plus toujours à se tenir debout. Les allongées invite également ses lecteur·ice·s à faire taire leur sentiment de culpabilité quant à la productivité et à se reposer s’iels en ressentent le besoin. Martine Delvaux et Jennifer Bélanger ont réussi avec brio l’écriture d’un livre important pour toute une génération de fxmmes.
[1] Martine Delvaux et Jennifer Bélanger, Les allongées, Montréal, Héliotrope, 2022, p.40
[2] Le terme « fxmme » est utilisé dans cet article pour inclure toutes personnes s’identifiant comme femme.
[3] Delvaux et Bélanger, p.55
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Martine Delvaux, Jennifer Bélanger, Les allongées, Montréal, Héliotrope, 2022.
Article rédigé par Eve Lemieux-Cloutier