Mathieu Rolland, rédacteur, adaptateur publicitaire et écrivain, publie son deuxième livre, De grandes personnes, en août 2023. Inspiré par le peintre Jean Paul Lemieux et sa capacité à montrer la solitude de ses sujets dans ses œuvres en la captant à travers le regard de chacun, l’écrivain a voulu transposer l’idée de la solitude à travers un nouveau médium : « Cette fois, les tableaux de Lemieux ont nourri mon travail et m’ont aidé à recentrer mes personnages autour de cette idée de solitude. J’étais très inspiré par sa posture un peu étrange qui consiste à représenter quelque chose de très concret et simple, qui dégage une espèce de secret, un rapport souterrain à l’individualité et à l’enfance [1]. »
De grandes personnes, c’est l’histoire d’une famille comme toutes les autres, des individus vivant ensemble et se côtoyant quotidiennement, naviguant entre des hauts et des bas. Nous y rencontrons la mère, Sophie Sourire, nageuse professionnelle et personnalité publique adulée par plusieurs; le père, Benoît, actuaire dont la vie est rythmée par les chiffres et les statistiques, ne laissant ainsi aucune place au hasard; et le fils, Tom, préadolescent surdoué obnubilé par la technologie. Ces trois individualités si distinctes les unes des autres se mélangent pour former une famille à l’apparence parfaite, mais cachant des incertitudes et des angoisses persistantes. Entourées, mais se sentant profondément seules et incomprises, ces trois personnes ne cesseront de se heurter à des murs, dans leur souci de comprendre l’autre.
C’est après un accident qui la défigure que Sophie doit se réinventer, refaire sa vie en oubliant la natation. Ancienne athlète, elle devra apprendre à délaisser le sport en rythmant sa vie autrement. C’est alors à Benoît qu’incombe la responsabilité de prendre soin de Tom, le temps que sa femme reprenne le contrôle de sa condition physique. Il fera appel à sa sœur Estelle pour l’aider à encadrer la prise en charge de son fils durant ses heures de travail, renouant avec son histoire familiale douloureuse. Le quotidien de la famille étant chamboulé par l’accident, Tom est laissé à lui-même. Prenant du retard dans son projet scolaire, il voit son obsession pour l’effet papillon prendre sans cesse de l’ampleur, l’exposant à un questionnement constant sur la manière dont un changement peut affecter notre quotidien. Désemparés, Benoît et son fils n’auront plus aucune certitude, en proie à une inquiétude constante quant au sort de Sophie. Leur relation père-fils se solidifie au point de susciter la jalousie de Sophie, qui tente de tout faire pour se rapprocher de Tom, consciente de la distance que son absence prolongée a créé dans leur relation mère-fils.
N’étant que l’ombre d’elle-même, la famille n’opère qu’à titre de façade, laissant ses membres aux prises avec leurs angoisses refoulées. Benoît doit s’armer de courage pour faire face au décès de son père, à l’absence de sa femme, à l’inquiétude de son fils et à la disparition soudaine de son collègue de travail. Sophie n’arrive plus à nager comme avant et voit sa carrière de nageuse s’effondrer, impuissante, et Tom tente tant bien que mal de s’accommoder de la présence constante de sa mère dans le foyer familial.
Ce récit s’attache à déployer le concept d’individualité par le prisme familial, en montrant le fléau de la solitude qu’amène la distance entre les membres d’une même famille. C’est «cet état d’être » seuls ensemble » [où] chacun a le regard tourné vers son propre horizon, est torturé par des tumultes, des blessures, des rêves qui lui sont propres[2] ».
Il est également question d’unité, de courage, de persévérance, d’exposition à la technologie, de l’invasion de la célébrité et de l’accès à la vie privée.
Mathieu Rolland a su cerner les problématiques œuvrant au sein de notre société, en touchant le plus grand nombre d’individus par le biais du concept familial, de la solitude, de l’enfance et de l’individualité. Il n’est pas seulement question des liens nous unissant et de notre capacité à traverser des épreuves, mais également de la possibilité à faire dialoguer notre individualité de concert avec la personne que nous sommes en collectivité.
[1] Anne-Frédérique Hébert-Dolbec, « “De grandes personnes” : les trois solitudes », Le Devoir, en ligne, https://www.ledevoir.com/lire/796406/roman-de-grandes-personnes-les-trois-solitudes,consulté le 23 décembre 2023.
[2] Idem.
***
Mathieu Rolland, De grandes personnes, Montréal, Boréal, 2023, 216 p.
Article rédigé par Leila Arab