Un restaurant, une ambiance feutrée, de la musique de chambre, des tables bien rondes.
«Vous êtes bien venu pour souper» ?
Voilà comment on pénètre dans l’univers de Soupers, écrite et mise en scène par Simon Boudreault, et présenté à la salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’Aujourd’hui. Invités à prendre place au milieu d’un restaurant imaginaire, nous assistons, à tour de rôle, à différents soupers ayant marqués la vie de Marc-Antoine, 33 ans, célibataire, obèse, mangeur compulsif, qui a comme unique compagnon son chat Guy et son t-shirt de Pacman. Marc-Antoine est chef programmeur d’une compagnie de jeux vidéo et semble vivre sa vie dans les jeux qu’il crée. Marc-Antoine est «pogné».
Entre une mère détestable qui ne l’écoute pas et une grande sœur qui manque de temps, Marc-Antoine mène une existence bien triste. Le soir de son anniversaire, il soupe au restaurant avec sa mère, sans sa sœur, choquée contre la mère, qui a refusé de venir au dit souper. La mère chiale, rabroue son fils, comme à l’habitude. Le comble de la soirée est nul autre que la serveuse Josée, ex-collègue de travail de Marc-Antoine et dont les rapports avec celui-ci se sont terminés de façon désolante.
Marc-Antoine vit par procuration. Il ne s’aime pas et métaphorise sa vie à la façon d’un jeu vidéo. Dans son jeu, il peut faire ce qu’il veut. Il est comme une manette de jeu, il peut peser sur n’importe quel bouton et agir comme bon lui semble. Sa vie virtuelle suit une série de codes binaires, s’enchaînant automatiquement au gré de ses désirs. Il peut être mince, athlétique, séduisant. Quand il ne réussit pas du premier coup, il peut recommencer à zéro. Dans sa vraie vie, qu’il refuse de regarder en face, son surplus de poids est un obstacle. C’est une vie grise, impliquant des choix pas nécessairement rassurants et sans possibilités de retours en arrière. Il ne sait pas aborder les femmes. Il évite de le faire en ne travaillant qu’avec des gars. Gare alors à Josée, qui entre dans son univers. Cela crée une véritable commotion et le déstabilise. Marc-Antoine prend conscience de sa réalité. Soit il vit sa vie ou il vit la vie des jeux vidéo. Il doit choisir.
Soupers met en lumière de façon comique cette solitude virtuelle des temps modernes. L’écriture décapante de Boudreault y est certainement pour quelque chose, mais le contexte qu’il a choisi pour présenter cette problématique y est aussi pour beaucoup. Il a eu l’idée géniale de créer un espace de jeu unique, où le spectateur, installé au sein du restaurant, ne peut que se poser des questions sur les propres «soupers» de sa vie. Cela ramène chacun en lui-même. Vivons-nous tous, un peu, par procuration? «C’est parfois la seule chose qui reste de notre famille, les soupers», écrit Boudreault. Il a bien raison.
Le pauvre Marc-Antoine se laisse aller et fait face à un dilemme que tous connaissent. Vivre une belle vie imaginaire ou bien vivre dans la réalité parfois dure. S’engourdir dans le virtuel ou bien ressentir, même si cela peut faire mal. En somme, comme se conclut la pièce, il nous faut choisir entre «reprendre une partie» imaginaire ou affronter sa vie.
À chacun de faire son choix.
Soupers
Texte et mise en scène de Simon Boudreault
Avec Sophie Clément, Alexandre Daneau, Johanne Haberlin et Catherine Ruel
Du 13 novembre au 1er décembre 2012
À la Salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’Aujourd’hui.
Article par Félix Delage-Laurin.