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17-04-2025 Vol 19

L’amour est mort, vive le théâtre. Les armoires normandes des Chiens de Navarre.

Les Chiens de Navarre font un retour très attendu à Montréal. Eux qui nous avaient charmés avec Une raclette puis Et quand je pense quon va vieillir ensemble. Le collectif dirigé par Jean-Christophe Meurisse revient à l’Usine C avec un spectacle haut en couleur, en émotions, en critiques, mais surtout en rires.

Crédit photographique: Philippe Lebruman
Crédit photographique: Philippe Lebruman

À peine passées les portes de la salle, on est déjà dans l’action; on a pratiquement l’impression d’avoir manqué quelque chose. Un Jésus ensanglanté est perché sur une croix suspendue au-dessus de la scène, couverte de sable. Il discute avec le public comme le veut la religion «un parle et l’autre se tait»; en commentant la tenue des gens, le rythme avec lequel ils trouvent leur siège, les couples qui vont peut-être se former durant la représentation, et j’en passe. Au théâtre, il arrive parfois de palper le malaise dans la salle lorsque la participation du public est sollicitée, mais pas ici, ce qui est probablement dû à la position inatteignable de l’acteur qui, suspendu dans l’espace, nous parle un peu comme à des subalternes.

Comme dans le reste du spectacle, une énorme place est faite à l’improvisation. Meurisse, le metteur en scène, travaille ainsi, donnant libre cours aux acteurs de jouer avec le thème demandé. Cela crée des scènes sensibles, crues, mais surtout savoureuses dans leur fragilité et dans les quelques décrochages des acteurs cherchant à cacher leurs fous rires ou bien encore les problèmes techniques (les micros, toujours les micros…) Tout devient matière à jouer, ils s’amusent comme des enfants au parc. Les Chiens de Navarre réinventent des scènes de la vie quotidienne; la matinée d’un homme dont la voix est doublée par un autre comédien, un mariage se transforme en divorce pour un autre couple, une femme cherche son mari mort chez un médium qu’elle finit par embrasser, on assiste à une scène de rencontre qui se transforme en baise caricaturale et torride, etc. Les Chiens explorent ici le thème de l’amour à une époque où les relations tournent souvent à vide. On assiste à une véritable critique de la société qui est bien en mal d’amour, et dont ce dernier occupe une place bien étrange dans nos vies; comme si on était à un tournant en ce qui concerne les relations de couple.

Crédit photographique: Philippe Lebruman
Crédit photographique: Philippe Lebruman

Venant de toutes sortes de milieux, les interprètes sont ici très polyvalents, tantôt doubleurs, tantôt bruiteurs, tantôt musiciens ou danseurs. Et c’est ce qui fait la beauté de la chose. En plus de la régie, beaucoup de manipulations se font sur scène grâce à l’aide de nombreux machinistes, qui se prêtent même au jeu du costume lors de la scène du mariage, puisque les décors changent tout au long de la représentation, nous donnant à voir un appartement, une plage, un bureau de psychologue, etc. Les éclairages de Stéphane Lebaleur dirigent particulièrement bien notre regard, en laissant toujours une partie dans l’ombre, souvent la partie grave, une engueulade par exemple et en éclairant à la place le personnage qui chante Un homme heureux, de William Sheller. Mention spéciale à la boule disco et au Christ irradiant sur la croix (quand un homme nu est éclairé en rouge devant le mur du fond).

On touche peut-être ici à l’essence même du théâtre. Les chiens de Navarre ont bien compris que le théâtre ne devrait pas être un truc poussiéreux et sans intérêt, une machine à recracher les mêmes textes usés en continu. C’est un spectacle qui nous fait voir nos failles, un spectacle où on se recconnaît. D’ailleurs les blagues sur les Québécois fusent, des blagues comme un baume sur notre âme, réalisant que nous ne sommes pas les seuls à jongler avec nos démons intérieurs.

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Les armoires normandes était présenté du 21 au 23 septembre 2016, en première Nord-Américaine à l’Usine C.

Article par Anne-Marie Spénard – Issue du baccalauréat en Études théâtrales à l’École supérieure de théâtre, Anne-Marie est aussi passée par les Women’s Studies à Concordia . Elle entretient une légère obsession pour la question des genres, la musique et la mer.

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