Avec l’exposition Trajectoires resplendissantes, Françoise Sullivan marque le temps avec plus de soixante-dix ans de pratique artistique.
Certaines expositions nous donnent à voir une mise en relation spatiale d’objets d’art qui s’interrogent sur les possibilités et limites de leur médium de manière autoréférentielle. D’autres expositions, cependant, nous présentent des objets qui n’ont pas comme seule finalité de se réfléchir, mais aussi de témoigner d’enjeux tels que l’histoire, la politique et la culture. L’exposition Françoise Sullivan. Trajectoires resplendissantes, présentée à la Galerie de l’UQAM du 11 janvier au 18 février 2017, s’inscrit davantage dans cette deuxième catégorie.
Après quelques rétrospectives portant sur le travail de Sullivan, notamment au Musée d’art contemporain de Montréal (1981) et plus récemment au Musée des beaux-arts de l’Ontario (2010), l’exposition à la Galerie de l’UQAM présente, quant à elle, une quantité limitée d’œuvres de médiums aussi variés que la peinture, la photographie, la danse et le collage dans une perspective conceptuelle.
Une pratique citationnelle
L’exposition s’ouvre sur l’œuvre photographique Portraits de personnes qui se ressemblent (1971), donnant à voir le fils de l’artiste, encore jeune, aux côtés d’une reproduction de l’œuvre Portrait d’un jeune homme de Lorenzo Lotto (1480-1556). Cette adaptation transmédiatique d’une œuvre picturale à une œuvre photographique est forte en signification puisque, par ce geste, Sullivan s’inscrit non seulement dans la grande tradition picturale et artistique de la Renaissance italienne, mais aussi dans les débuts de la discipline de l’histoire de l’art qui, à partir du Cinquecento, se définit de façon plus explicite en Europe. De surcroît, Sullivan utilise le même support que les peintres de cette époque, soit des panneaux de bois afin d’imprimer ses épreuves numériques.
Que la commissaire Louise Déry nous donne à voir cette œuvre en premier lieu n’est pas anodin, d’autant plus que chacune des autres propositions, à leur façon, s’inscrit dans une tradition artistique soit locale, internationale ou historique. Il est à rappeler que la pratique artistique multidisciplinaire de Sullivan s’étend sur plus de soixante-dix ans, ce qui force un retour en arrière afin de pouvoir déceler les différentes trajectoires prises par l’artiste. Justement, l’un des leitmotive les plus notables de cette exposition est la question de la mémoire — autant pour les œuvres elles-mêmes que dans le travail de commissariat.
Avec l’œuvre Obscène (1976-2016), Sullivan présente des portraits d’artistes de son époque, dont quelques signataires, tout comme elle, du Refus global, en estampillant en rouge chacune de ces photographies du nom de cette œuvre. Ces portraits servent, entre autres, à dénoncer le traitement accordé aux artistes de l’exposition d’art public Corridart, démantelée par l’administration de Jean Drapeau en 1976, alors maire de la ville de Montréal. Mais cette œuvre a aussi une double visée, car le premier portrait présenté est celui du poète Émile Nelligan (lui aussi jugé « obscène » en son temps), ce qui participe donc à inscrire ces artistes — et par conséquent Sullivan — dans une historiographie artistique québécoise plus large.
Que ce soit tout autant pour ses références à l’histoire de l’art, aux conjonctures politiques québécoises ou à des références plus formelles, Sullivan fait dans cette exposition figure de témoin; témoin de son époque, mais aussi témoin de l’histoire de l’art dans laquelle elle s’insère, requestionne et participe à faire progresser.
Dans cette exposition qui inscrit la présence de Françoise Sullivan dans une histoire de l’art nationale et internationale, les multiples trajectoires empruntées par l’artiste sont autant de façons pour celle-ci — comme il est mentionné dans le carnet de l’exposition — de ne pas « participer ni céder aux prophéties sur la fin de l’art, mais bien pour méditer à sa survie ». La commissaire Louise Déry tente ainsi de faire acte de mémoire, de survivance dans cette exposition, et nous comprenons peut-être mieux maintenant pourquoi elle nous dit que Sullivan « nous convie à cette relation vitale entre l’œuvre, la mémoire et le monde qui nous entoure ».
Trajectoires resplendissantes de Françoise Sullivan, commissariée par Louise Déry, Galerie de l’UQAM, 1400, rue Berri, local J-R 120, présentée du 11 janvier au 18 février 2017.
Article par Sébastien Boire.