En mettant en scène des couleurs franches et des corps engagés, par des métaphores ludiques de processus physiologiques et constitutifs d’une communauté, la Cia REC et Alice Ripoll nous entraînent dans un étourdissement sensoriel et poétique.
Alors que je prends place sur un des quatre côtés du plateau, je vois Alice Ripoll dans un coin de l’espace scénique, habillée d’une tunique ample aux larges rayures irrégulières et colorées. Sa tenue me saute aux yeux et me rappelle une toile de Hundertwasser. Le plateau est recouvert de tapis de danse noirs, sur lesquels sont disposés des seaux rouges et quelques serpillères blanches pliées. Les guirlandes au plafond tamisent de leur lumière jaune. Le noir tombe. Silence.
Rien n’annonçait la tempête, le vacarme terrifiant qui vient ensuite. Une énorme forme mouvante se place bruyamment dans un coin du plateau. La forme se tait, la lumière revient. C’est une sorte de gros sac, une anémone géante de plastique bleu, imposante, grotesque, qui pulse et qui respire. Soudain, l’œuf de plastique explose, se déplie au sol en laissant voir sa forme carrée, et six corps éclosent à grands cris. Ils envahissent l’espace en le peuplant d’onomatopées, d’exclamations et en fouettant le sol avec les coins de la bâche qui les abritait. Les corps débordent d’une vitalité qui confine à la frénésie. Je suis tour à tour amusé par les grimaces, mais aussi horrifié par les claquements du plastique.
Dans un retour au calme, la bâche redevient tantôt cocon, tantôt roche, nuage ou bien cellule, et les crissements occasionnels du plastique résonnent comme des bulles qui éclatent à la surface d’un liquide visqueux. Une main émerge. Les corps s’extraient petit à petit ; ils entament un jeu de percussions sur les seaux, sur les torses et sur les cuisses. Le rythme s’accélère et les sens sont pris dans un nouveau tourbillon.
Déploiement. La bâche est encore plus grande que ce que je pensais. Une nouvelle activité se met en place. Les interprètes vont chercher les seaux, se préparent, installent l’espace, aspergent ce nouveau sol, se mouillent : les peaux deviennent luisantes comme le plastique. Les corps mouillés se magnétisent peu à peu et s’agglutinent dans des agencements qui me rappellent des sessions d’acrogym au secondaire. Mais soudain, un corps glisse, passe dans un trou formé par un bras replié, et se dépose, inerte sur le sol, avant de se relever pour réintégrer ce grand corps collectif mouvant. Puis un autre corps glisse et se dépose. Je vois dans ces glissades successives une série d’accouchements de corps adultes en silence. Il y a de la rudesse parfois, mais aussi beaucoup de soin dans les portées, les contacts, les soutiens, dans l’entraide et la solidarité des membres de cette communauté.
Il faut s’entraider à naître.
De la suite, je garde un flou fait de sculptures de mousse, de baisers explosifs, une polyphonie du quotidien, un geyser d’écume percussive, des masques qui évoquent à la fois des groins de cochons et Darth Vader, ainsi qu’une chorale qui rappelle le travail de György Ligeti ou de David Hykes. Toute la vie, l’absurdité, la diversité et la richesse d’un monde contenu dans l’espace d’une bâche de plastique déployée.
La pièce Lavagem est diffusée à l’Usine C du 1er au 4 juin dans le cadre du FTA. Billets en vente ici.
Auteur : Germain Ducros
Crédits:
Un spectacle de Cia REC
Chorégraphie Alice Ripoll
Idée originale Alan Ferreira
Interprétation Katiany Correia + Hiltinho Fantástico + Alan Ferreira + Rômulo Galvão + Tony Hewerton + Tuany Nascimento
Scénographie Raquel Theo
Costumes Paula Ströher
Lumières Tomás Ribas
Accessoires et maquillage Cleber de Oliveira
Assistance artistique Laura Samy
Technique lumières Leandro Barreto
Direction de production Natasha Corbelino – Corbelino Cultural
Assistance plateau et production Thais Peixoto
Diffusion Art Happens
Soutien Rafael Machado Fisioterapia
Coproduction Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles) + PACT Zollverein (Essen) + Kaserne Basel (Bâle) + Wiener Festwochen + Julidans (Amsterdam) + Festival de la Cité Lausanne + Passages Transfestival (Metz) + Romaeuropa Festival and Teatro di Roma – Teatro Nazional + Festival d’Automne à Paris
Remerciements Alexandre Belfort + Pedro Bento + Thamires Candida + Andrea Capella + Casa de Mystérios e Novidades + Centro Coreográfico da Cidade do Rio de Janeiro + Sulamita Costa + Walace Ferreira + Juliana França + Mauricio Lima + Renato Linhares + Camila Moura André Oliveira + Diewry Patrick + Dilo Paulo + Arnoldo Pereira de Souza + Camila Rocha + Lenna Santos de Siqueira + Anita Tandeta + Cecilia Ripoll + Juliete Schult
Présentation en collaboration avec Usine C
Création au Wiener Festwochen, le 28 juin 2021