C’est dans le cadre de l’effervescente édition 2015 de l’estival Zone HOMA qu’ont eu lieu, du 19 au 21 août dernier, les représentations de la création du spectacle MA(Ğ)MA. Le collectif à la source de ce projet est composé de Léo Loisel, Olivia Sofia, Maxime Lepage, Xavier Mary, Guillaume Rémus, Benjamin Huppé, Pauline Schwab, Laura-Rose Grenier, Andrée-Anne Pellerin et Émile Arragon. Ils s’entourent pour l’occasion de presque une cinquantaine d’interprètes, pour la majorité finissants d’écoles professionnelles de théâtre ou de danse, composant un chœur dansant d’une puissance indéniable, à la fois beau et troublant. Voilà un spectacle qui porte bien son nom et qui est, de surcroît, présenté dans le bon cadre.
Il est difficile de dire s’il s’agit d’un choix osé ou simplement maladroit que de remixer l’Immaculée Conception à l’aide d’une équation aussi simple que «Marie + Joseph + GHB + Hyménoplastie = Bébé surprise». Cela désacralise et galvaude la genèse catholique, bien entendu. Toutefois, l’équation s’inscrit dans une dramaturgie si fragilement construite qu’elle devient très rapidement plutôt superficielle. Le spectacle, interprété avec un tout petit peu de mauvaise foi, deviendrait facilement un manifeste involontaire de la génération YOLO (qui par ailleurs se défend bien de l’être et qui tente de se décoller ce titre graisseux de la peau), c’est-à-dire, party-sexe-drogue-et-pas-grand-chose-de-plus.
Le problème, c’est qu’il y a plus à dire sur ce spectacle. Le public peut effectivement ressentir une dualité hautement intéressante en regardant près de cinquante derrières s’abandonner au rythme d’un «twerk» on ne peut plus vibrant. C’est à la fois le nombre impressionnant d’interprètes, la surprise de leur arrivée et la beauté de les voir s’exécuter à l’unisson, puis le dégoût ressenti devant ces corps qui se déforment à quelques pouces de nos visages. Aussi jeunes et aguicheusement habillés soient-ils, un malaise s’installe au même rythme que la musique et d’une intensité semblable (même la foufoune la plus ferme se mobilise ici), malgré le sourire en coin qui demeure. On se souvient de nos premiers contacts avec les fesses de Miley Cyrus et on retrouve en nous quelque chose comme l’essence de ce malaise initial.
Un des seuls points forts de cette dramaturgie drôlement cousue est sans doute la narration initiale, qui, en direct, de concert avec la vidéo, nous dresse un tableau d’ensemble très complet et amusant de ce qui nous attend. Les interactions de cette même voix-narratrice avec Léo, enfant (Jésus? Ouf!) sont aussi troublantes qu’elles s’avèrent vraies. C’est là, peut-être, une des seules violences de ce récit (qui se rende à nous, du moins), alors qu’on le regarde obéir à des ordres aléatoires en exécutant des actions inutiles comme un animal de cirque. Affirmer que ce personnage incarne l’ingrate transition entre l’enfance et l’âge adulte, comme on pouvait le lire dans certains prépapiers, c’est peut-être avoir un peu trop d’imagination, parce que ce n’est pas une piste bien filée du tout, du moins ce n’est pas mis de l’avant vraiment.
Cette mise en scène témoigne d’une conception de l’espace bien calculée qui permet au lieu d’être bien investi et qui justifie, en partie, l’in situ. Le décor minimaliste permet de créer de façon très efficace les lieux et ambiances recherchées et les éclairages dynamisent le tout en élargissant de façon considérable le spectre des possibilités de ce plateau, malgré la non-théâtralité initiale du lieu et la simplicité apparente de l’équipement technique. Certains ont dû faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour permettre à ce lieu de gagner autant de volume en si peu de temps et, on l’imagine, avec peu de moyens. Bref, c’est une exploration qui se tient et qui nourrit la proposition.
Pour ce qui est des costumes, on ne saisit pas vraiment leur style ni leur nécessité. Peut-être est-ce lié à une partie de cette dramaturgie bancale qui ne s’est pas rendue à nous, mais on ne saisit pas l’esthétique des habits disparates des hommes du début, qui semblent rassembler au mélangeur des restants de costumier du Loup-Garou du Campus, une certaine idée de l’Homme sauvage à la Cro-Magnon et quelques clichés queer au passage, le tout entre deux scènes dans un club qui nous laissent perplexes. Au final, ils soulèvent plus de questions qu’ils ne nourrissent l’ensemble.
Le collectif aura donc su mieux s’exprimer par ses quelques images bien articulées que par ses dialogues peu convaincants et trop verbeux. Pensons notamment à la scène sans paroles ou l’on voit Léo écraser des bonbons par terre pendant de longues minutes (qui auraient même pu s’étirer plus…) et qui sait révéler une frustration qui se trouve plus forte si on ne la nomme pas. La conception sonore a aussi eu ce défaut par moments d’adopter un angle plutôt cinématographique je dirais «d’accent sur l’émotion que le spectateur devrait ressentir», ne nous laissant pas la liberté d’interpréter à notre guise.
On est donc ici, tout du long, avant l’éruption. Avant l’explosion majestueuse et dangereuse. Quelque part en préparation souterraine. Il y a encore toute une dramaturgie à re-tricoter plus serré, avec ou sans les mots, mais s’il vous plaît sans les clichés du jeune Yolo-Pogo. Personne n’a besoin de les revoir, nous les connaissons déjà et savons que la beauté est ailleurs. On voit qu’il y a plus, on le devine, on l’espère au moins, mais on n’y a pas accès encore. C’est en somme un laboratoire, le magma d’une lave à venir. Et Zone HOMA était LA place pour ça.
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Le spectacle Ma(G)ma était présenté dans le cadre de l’édition 2015 de Zone HOMA du 19 au 21 août dernier à «La Fabrique» de la paroisse St-Denis, rue Laurier.
Un collectif composé en partie des mêmes créateurs avait présenté You, toujours à Zone HOMA l’an dernier. Cliquez ici pour accéder à la critique de ce spectacle écrite par Josianne Dulong-Savignac.