Difficile de rester indifférent face à la proposition de Sébastien Cliche, La doublure, présentée jusqu’au 8 décembre à la Galerie de l’UQAM. Le concept est simple et ne manque surtout pas d’efficacité. Bref aperçu d’une expérience déroutante.
Dans la petite salle de la galerie, les visiteurs sont invités à s’introduire dans une petite pièce somme toute minimaliste. Une mise en abîme de l’institution? Il faudrait y réfléchir. On y retrouve une chaise et un bureau sur lequel reposent un livre, une lampe et un téléviseur qui semble projeter cette même pièce filmée en temps réel par une caméra de surveillance (double mise en abîme, donc?). Un socle sur lequel repose un sac de grains se retrouve dans l’espace, ainsi qu’une horloge accrochée au mur, créant ainsi l’attente d’une action à venir. De l’autre côté d’une fenêtre, la reproduction identique de cet espace clos nous fait face, ce qui n’est pas sans rappeler les salles d’interrogatoire et leur inquiétante froideur. Mais voilà qui est fort intimidant : dans cette antichambre symétrique patiente un performeur ou une performeuse qui, on le comprend rapidement, répètera machinalement la plupart de nos gestes en différé. Nul besoin d’y réfléchir plus longuement, cette œuvre suggère vraisemblablement une série de mises en abîme, au point où semble s’y constituer une structure narrative tautologique.
Questionnant ainsi les limites de la narration et la place du spectateur au sein de l’œuvre, la pratique de Sébastien Cliche se déploie dans le vaste horizon des arts médiatiques. Multidisciplinaires, ses recherches l’amènent à toucher l’art sonore, la performance, la photographie ou encore l’art web (et j’en passe). On a justement pu constater cette diversité avec l’énigmatique installation audiovisuelle Le château, présentée cet automne chez Optica, et qui n’a visiblement pas de grandes similitudes avec la proposition qui nous intéresse ici. Quoi qu’il en soit, il n’est pas du tout étonnant d’apprendre que ce dernier possède une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’UQAM tant son travail, surtout en ce qui a trait à l’œuvre présentée chez Optica, est emblématique de l’aspect « intellectualisant » propre à l’approche pédagogique de l’institution uqamienne.
Dan Graham, Public Space / Two Audience, 1976 (photo : www.mnartist.org).
La doublure s’inscrit donc dans le sillage de l’art conceptuel d’artistes comme Dan Graham, pour ce qui est de la forme, et rappelle les performances participatives de Yoko Ono dont Cut Piece (1965), et jusqu’à un certain point Rythme 0 (1974) de Marina Abramovic, pour laquelle la performeuse soumet son corps aux volontés de ses invités pendant six heures au moyen de 72 objets. L’anecdote veut que la performance s’est terminée lorsqu’un des participants a tendu un revolver chargé sur la tempe de l’artiste. Faut-il croire qu’une pleine liberté léguée au spectateur occasionne chez lui les pulsions les plus douteuses?
Marina Abramovic, Rythm 0, 1974 (photo : www.tumblr.com).
Partant de ces comparaisons, on se demande jusqu’où peut-on aller dans l’œuvre de Sébastien Cliche et surtout, jusqu’où la doublure qui imite nos gestes peut-elle se rendre. Heureusement pour cette dernière, on ne peut intervenir directement dans l’espace où elle évolue puisqu’un mur fenêtré nous sépare. Moins extrême que les propositions fondatrices de l’art performance à tendance radicale, cette proposition ouvre tout de même la voie à des risques que l’artiste ne peut déterminer à l’avance. Malgré la présence d’une caméra de surveillance, le fait d’être en dehors du champ de vision du personnel de la galerie encourage ceux et celles qui s’y risquent à tester librement les limites du performeur, mais d’abord et avant tout à questionner ses propres limites en tant que participants-es. Si l’envie vous monte d’excéder le raisonnable, voyons si l’artiste, conscient du risque, a prévu de se laisser prendre au jeu. Préparez-vous cependant à confronter le reflet de votre propre audace, car celle-ci vous sera réfléchie dans toute son éloquence.
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Il faut également en profiter pour passer voir Vidéozone dans la grande salle de la galerie universitaire. Il s’agit du chapitre uqamien de l’événement d’envergure Montréal/Brooklyn initié par le Centre Clark. On y retrouve des œuvres vidéos de Sophie Bélair-Clément, Olivia Boudreau, Robert Boyd, Jacynthe Carrier, Michel de Broin, Pascal Grandmaison, Tatiana Istomina, Elisa Kreisinger & Marc Faletti, Frédéric Lavoie, Marko Markovic, Aude Moreau, Rosemarie Padovano et Celia Rowlson-Hall. C’est beaucoup, effectivement, mais le travail des commissaires facilite les visionnements fragmentés si le temps vous manque.
La suite de la rencontre artistique entre Montréal et New York aura lieu dès janvier 2013 à Brooklyn. Pour de plus amples informations : on clique ici.
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Lieu : Galerie de l’UQAM, 1400, rue Berri (angle Sainte-Catherine), Local J-R120, Montréal
Dates : du 19 octobre au 8 décembre 2012
Heures d’ouverture : Du mardi au samedi, de 12h à 18h
Entrée libre
Article par Alexandre Poulin – Étudiant à la maîtrise en histoire de l’art (UQAM), poursuivant des recherches sur la dépense improductive, le gaspillage et la décroissance en art actuel.