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17-03-2025 Vol 19

Une brèche au coeur de l’humanité. Le trou d’Eugénie Beaudry

Avec Le Trou, Eugénie Beaudry vient nous raconter l’histoire d’un déracinement comme il s’en produit parfois. Au creux d’un village fantôme, Sara-Lee déterre les souvenirs pour sauvegarder son passé au sein duquel le silence est d’or et les coeurs brisés. Le Laboratoire Théâtre de (ré)création présente le deuxième texte d’Eugénie Beaudry à la salle intime du Théâtre Prospero jusqu’au 17 mai.

Édith Arvidais, Joseph Bellerose, Yannick Chapdelaine. Crédit: Marie-Ève Desroches
Édith Arvidais, Joseph Bellerose, Yannick Chapdelaine.
Crédits photographiques: Marie-Ève Desroches

Pendant que Sara-Lee s’obstine à creuser le sous-sol de sa maison afin de déterrer la mémoire, les souvenirs et les trésors enfouis de son passé familial, dehors, le monde s’active. Mais elle ne le sait pas, ou plutôt, elle ne veut pas le savoir. Perpétuer la mémoire des siens vaut mieux que de s’ouvrir au monde. Traumatisée par un abandon dont elle se sent responsable, Sara-Lee a développé une phobie de l’extérieur. Et puis, à quoi bon avancer quand le passé est gage de courage? La jeune femme est habitée par l’idée obsessive de préserver la mémoire d’un village qui s’est reconstruit après un incendie majeur, mais pourquoi? Pour mieux sombrer à nouveau, revivre la chute pour mieux tomber. La protagoniste n’a pas connu l’histoire qui la possède tant, pas plus qu’elle n’est consciente du présent qu’elle fuit. Cet idéal romantique causera sa perte. Autour d’elle se trouve un homme qui a tout perdu, un maire déchu, un père qui n’a jamais su prendre soin de sa fille et Jo, le représentant syndical de l’usine qui, malgré un enrobage de combativité, est le seul à vraiment comprendre Sara-Lee. Jo est aussi le dernier élément extérieur qui peut encore influencer le maire et sa fille.

Yannick Chapdelaine, Isabelle Guérard, Édith Arvidais, Joseph Bellerose. Crédit: Marie-Ève Desroches
Yannick Chapdelaine, Isabelle Guérard, Édith Arvidais, Joseph Bellerose.
Crédits photographiques: Marie-Ève Desroches

La scénographie de Karine Galarneau est efficace et campe les personnages dans un huis clos. Elle permet la césure en créant un deuxième lieu sans altérer le premier. Le décor vient simplement s’ajouter au texte, aux costumes et aux accessoires pour en faire un tout. L’harmonie des éléments donne de la puissance à la mise en scène. Voguant entre naïveté et aplomb, le texte d’Eugénie Beaudry fait sourire pour mieux mordre. Le noyau central est si fort qu’il est possible de se demander si l’histoire de Johanne, responsable des copeaux de bois à l’usine, est nécessaire. Malgré cela, le croisement des différents récits apporte plusieurs niveaux d’interprétation quant à l’évènement traumatique. Effectivement, il n’y a jamais qu’une version des faits entourant une histoire ou un évènement.

Édith Arvisais rencontre le texte dans ce qu’il y a de plus précis. La comédienne, qui était de la première pièce de l’auteur, Gunshot de Lulla West, revêt cette fois les traits d’une déficiente légère avec véracité, subtilité et justesse. Au-delà des mots se dégage une incarnation émouvante. C’est un jeu purement viscéral qu’offre l’interprète au plus grand bénéfice de la production. La comédienne peut s’appuyer sur des comparses aussi brillants. Alors que Joseph Bellerose livre une performance physiquement éprouvante, Yannick Chapdelaine rend le jeu tout en finesse.

Édith Arvidais dans le rôle de Sara-Lee. Crédit: Marie-Ève Desroches
Édith Arvidais dans le rôle de Sara-Lee.
Crédits photographiques: Marie-Ève Desroches

Le Trou s’inscrit au nombre des petites tragédies qui affectent le quotidien. Il est possible d’y reconnaître le sort de plusieurs villages québécois et les blessures relationnelles humainement inévitables. Comme avec Gunshot de Lulla West, la pièce amène le spectateur à s’interroger sur le déracinement. Est-il possible de survivre au passé? Jusqu’où aller pour honorer la mémoire? Tant de réflexions nécessaires dans cette société où l’oubli est trop souvent l’essence de la productivité.

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Le Trou est présenté au Théâtre Prospero du 29 avril au 17 mai. M.E.S. Eugénie Beaudry. Avec Édith Arvisais, Joseph Bellerose, Yannick Chapdelaine, Isabelle Guérard et Mariane Lamarre. Une production du Laboratoire; Théâtre de (ré)création contemporaine.

Article par Marie-Michelle Borduas. Animatrice et chroniqueuse radio, amoureuse de théâtre et consommatrice avertie de musique! Je partage mon temps entre tous les théâtres et les salles de spectacles montréalais. 1001 projets parce que la tête bouillonne. Oh et j’ai aussi ce petit papier qui indique: bachelière en journalisme.

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